SUR LA CLASSIFICATION TARIFAIRE DES MODULES SEPARES AYANT UNE FONCTION DE COMMUNICATION … OU SUR LES COMPLEXITES DE L’ARTICULATION ENTRE LE DROIT DE L’UE ET LE DROIT DE L’OMC

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(Arrêt de la Cour dans les affaires Digitalnet е.а., C-320/11, C-383/11, C-330/11 et C-382/11)

Jénya Grigorova [1]

 

Derrière les détails d’une analyse fortement technique des capacités de modulation et démodulation des modules séparés ayant une fonction de communication et de leur classification tarifaire, se cache dans cet arrêt une panoplie de problèmes liés à la complexité des multiples facettes de l’articulation entre le droit de l’Union Européenne (UE) et le droit du commerce international.

La question qui se pose devant la Cour concerne la classification tarifaire de ces modules, produits en Corée et importés en Bulgarie par trois sociétés bulgares. Dans leur déclaration faite auprès les autorités douanières les importateurs classent les modules sous la position 8528 71 13 de la Nomenclature combinée (NC). Or, dans le cadre de ses engagements découlant de l’Accord sur les technologies de l’information (ATI), un accord plurilatéral faisant partie du corpus juridique des règles de l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.), l’UE n’impose pas de droits de douane pour les produits relevant de cette position. Les autorités douanières bulgares estiment que les modules importés relèvent davantage d’une autre catégorie (8528 71 19) et que des droits de douane de 14% sont dus par les importateurs.

Le débat devant les juridictions nationales concerne l’interprétation des termes utilisés dans la Nomenclature combinée. Or, une partie de celle-ci (les six premiers chiffres de chaque position) découle du Système harmonisé élaboré par l’Organisation mondiale des douanes, alors que l’autre partie est fixée par un Règlement de la Commission. En outre, la technicité des termes employés dans les intitulés des positions est telle, que la Commission publie des notes explicatives, qui elles n’ont aucune force contraignante. Le risque existe que ces notes explicatives s’éloignent de la Nomenclature combinée au point d’y ajouter des éléments de définition qui peuvent restreindre les catégories. Dans de tels cas la Cour a traditionnellement tendance à écarter les notes pour que la portée de la NC ne soit pas modifiée. Tel est justement le cas en l’espèce : en clarifiant le terme de « modem » dans ses notes explicatives, la Commission a exclu de cette définition certains dispositifs remplissant des fonctions similaires à un modem. Il s’ensuit que ces notes restreignent la portée des termes utilisés dans la NC. La Cour les écarte pour remplacer l’interprétation qui y est faite par sa propre interprétation.

Cette technique n’a en soi rien de nouveau ou d’étonnant. Elle est pour autant intrinsèquement porteuse de nombre d’affirmations implicites. En effet, la Cour appuie l’interprétation qu’elle s’apprête à donner à la place des notes explicatives, sur l’interprétation des termes proposée par un Groupe spécial s’étant prononcé sur un différend dans le cadre de l’O.M.C. Les juges de l’Union justifient l’utilisation de cette jurisprudence par le principe de l’interprétation conforme. C’est justement ici que peut être identifiée une première prise de position, probablement davantage imprévue de la part de la Cour : les juges appliquent le principe d’interprétation conforme par rapport à un texte qui est certes d’origine internationale, mais qui n’est qu’un rapport d’un Groupe spécial au sein de l’O.M.C. Or, les débats sont loin d’être clos sur la nature juridique de ces rapports qui peuvent au mieux être qualifiés de décisions quasi-juridictionnelles. Et même en dépassant ce premier gène, la position de la Cour devient encore plus problématique si s’ajoute à l’équation le rappel de la réalité : le Système harmonisé est un acte de l’Organisation mondiale du commerce ; l’interprétation qu’en proposent les Groupes spéciaux ou même l’Organe d’appel a autant d’autorité que celle qu’aurait pu faire la CJUE elle-même : la seule interprétation authentique proviendrait des organes de l’Organisation mondiale des douanes. La Cour n’avoue-t-elle ici que les juridictions de l’O.M.C. sont mieux placées pour interpréter certains éléments du Système harmonisé, des éléments que la NC reprend ?

Un dernier élément mérite d’être souligné dans le cadre du présent litige, cette fois-ci plutôt dans une optique positive : la juridiction de renvoi demande à la Cour, outre l’interprétation des termes déployés dans la NC, une question portant directement sur le choix de la position dans laquelle doivent être classifiés les modules en l’espèce. La CJUE refuse de se prononcer sur cette question en soulignant la subtile frontière entre interprétation et application du droit de l’UE (sa compétence ne concerne naturellement que la première de ces opérations). Une position salutaire dans ce sens.

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[1] Doctorante, chargée d’enseignement (droit international public et droit international économique), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; titulaire de Master (M2) en Droit International Economique de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Master en Droit de l’Université de Sofia « Kliment Ohridski »

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Към цялата статия на български език: ОТНОСНО ТАРИФНОТО КЛАСИРАНЕ НА SET TOP МОДУЛИ … ИЛИ ОТНОСНО СЛОЖНИТЕ И МНОГОПЛАСТОВИ СЪОТНОШЕНИЯТА МЕЖДУ ПРАВОТО НА ЕС И ПРАВОТО НА СТО