PREMIERE INTERPRETATION DE L’EFFET DIRECT HORIZONTAL DU DROIT A L’INFORMATION ET A LA CONSULTATION DES TRAVAILLEURS GARANTI DANS LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPEENNE

Author

Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (Grande chambre), 15 janvier 2014

dans l’affaire C-176/12, Association de médiation sociale contre Union locale des syndicats CGT

 

Mihaela Ilieva[1]

 

L’arrêt rendu le 15 janvier 2014 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’affaire Association de médiation sociale contre Union locale des syndicats CGT (ci-après « AMS ») apporte des précisions importantes concernant l’effet direct et l’invocabilité de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, l’affaire présente la première occasion pour la Cour de justice d’interpréter le droit à l’information et à la consultation des travailleurs garanti dans l’article 27 de la  Charte des droits fondamentaux de l’Union, et plus précisément, son invocabilité dans les relations entre personnes privées.

En l’espèce, l’objet du contentieux était la détermination des seuils de représentation du personnel dans les entreprises en France. L’article L. 1111-3 du Code du travail français transpose la directive n° 2002/14, établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs. Cette directive fixe des exigences minimales, en prévoyant l’élection ou la désignation des délégués du personnel, à partir d’un seul d’effectifs de l’entreprise. En transposant la directive, la loi française a exclu certaines catégories de salariés. En l’espèce, l’Association de médiation sociale (AMS) conteste la décision de l’Union départementale de la CGT, désignant un représentant syndical. Selon l’AMS, en raison des exclusions prévues par l’article L. 1111-3 du Code du travail, son effectif est inférieur au seuil minimal fixé afin de désigner un représentant du personnel. De leur côté, les associations syndicales et le représentant désigné ont soutenu que la loi française était contraire au droit de l’Union. Après une longue procédure devant les juridictions nationales, la Cour de cassation a été saisie de la question. La haute juridiction a décidé de sursoir à statuer et a interrogé la Cour de justice sur la question de savoir si l’article 27 de la Charte peut être invoqué dans un litige entre particuliers pour écarter la mesure nationale de transposition contraire au droit de l’Union.

D’abord, la Cour examine la compatibilité de la norme nationale avec la directive n° 2002/14, et constate facilement que l’exclusion de certaines catégories de personnes ne peut que priver les travailleurs des droits qui leur sont conférés. Conformément à sa jurisprudence bien établie, la Cour analyse, ensuite, l’invocabilité de la directive dans un litige entre particuliers en contrôlant si ses dispositions sont suffisamment claires, précises et inconditionnelles. Même si la Cour relève que tel est le cas en l’espèce, elle refuse d’accepter son effet direct horizontal. Elle évince également la possibilité d’interprétation conforme du droit national à l’égard de la directive en raison de la limite suivante –  en vue des dispositions de l’article L.1111-3 du Code du travail, la juridiction nationale serait face à une situation d’interprétation contra legem.

Par la suite, la Cour analyse la délicate question de l’invocabilité de l’article 27 de la Charte. Afin de pouvoir produire ses effets, le droit à l’information et à la consultation des travailleurs nécessite d’être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national. L’Avocat général Cruz Villalón souligne dans ses conclusions qu’il existe deux catégories de droits fondamentaux dans la Charte, ayant un régime juridique différent : la catégorie des droits et celle des principes. Concernant les principes, selon l’article 52 § 5 de la Charte, afin qu’ils puissent être concrétisés, ils doivent faire l’objet de précisions dans des normes européennes ou nationales. Même si la Cour ne fait pas directement référence à la notion de principe et au fait que l’article 27 de la Charte relève de cette catégorie, elle en tire la conséquence qui est l’absence d’effet direct horizontal de la disposition. La Cour relève que l’article 27 de la Charte ne peut être invoqué entre particuliers, ni en tant que tel, ni en combinaison avec les dispositions de la directive n° 2002/14, en faisant le parallèle avec son arrêt Kücükdeveci de 2010, dans lequel contrairement au cas d’espèce, il s’agissait du principe de non-discrimination, prévu dans l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux, qui est un droit subjectif dans le chef des particuliers. Par conséquent, la Cour refuse non seulement l’effet direct horizontal de l’article 27 de la Charte mais aussi la possibilité d’écarter la norme nationale contraire au droit de l’Union. Enfin, la Cour précise que la partie lésée peut demander la réparation du dommage subi en raison de la non-conformité du droit national au droit de l’Union européenne.

La position classique de la Cour, relative au refus de l’effet direct de la directive, est prévisible. En effet, l’apport de l’arrêt se trouve dans l’interprétation de l’article 27 de la Charte. Le rejet catégorique de son invocabilité, ainsi que l’impossibilité d’écarter la norme nationale contraire au droit de l’Union, ne semble pas évident et pour autant, l’argumentation de la Cour est assez laconique. Cette position de la Cour peut surprendre, d’un côte, en raison des conclusions de l’Avocat général, qui, à travers d’une analyse exhaustive, soutient la thèse inverse, et d’un autre, en raison de l’objectif lié à la préservation de l’effet utile des dispositions de la Charte. Selon certains auteurs, l’exclusion de l’effet direct des dispositions de la Charte n’est pas gênante puisque l’argument principal de la Cour qui consiste à différencier les droits et les principes, est suffisamment convaincant.

La Cour a, certes, préservé la cohérence de sa jurisprudence relative à l’invocabilité des directives. Néanmoins, à travers une argumentation insuffisante, ayant d’ailleurs une incidence sur la force de persuasion de la solution, la Cour a interprété de façon conservatrice le droit fondamental à l’information et à la consultation des travailleurs, garanti dans la Charte. Cette  interprétation est susceptible de nuire à l’effet utile de l’article 27 de la Charte.

Enfin, la Cour rappelle que la partie lésée par la non-conformité du droit national au droit de l’Union peut obtenir la réparation du dommage subi. Pour autant, cette précision suffit-elle pour garantir de façon effective la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne ?

***

[1] Doctorante contractuelle, chargée de travaux dirigés en droit de l’Union européenne à l’Université Panthéon-Assas, Paris II ; titulaire de Master Recherche en droit de l’Union européenne à l’Université Panthéon-Assas Paris II.

***

Линк към статията на български език: ПЪРВО ТЪЛКУВАНЕ НА ДИРЕКТНИЯ ЕФЕКТ НА ПРАВОТО НА ИНФОРМИРАНЕ И КОНСУЛТИРАНЕ НА РАБОТНИЦИТЕ, ГАРАНТИРАНО В ХАРТАТА НА ОСНОВНИТЕ ПРАВА НА ЕС

***