L’INCRIMINATION DU SÉJOUR IRRÉGULIER DES RESSORTISSANTS DE PAYS TIERS SUR LE TERRITOIRE DES ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE ET LA POLITIQUE COMMUNE D’IMMIGRATION

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L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C‑329/11, Achughbabian

 

Anguel Pachev[1]

 

La Cour a eu l’occasion de se pencher pour la troisième fois sur l’interprétation des dispositions de l’un des actes les plus significatifs de l’acquis en matière d’immigration, à savoir la Directive 2008/115, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348, p. 98).

Adoptée selon la procédure de co-décision, cette directive institue, dans un but d’assurer l’efficacité de la politique de retour, une obligation pour les États membres d’adopter et d’exécuter une décision de retour au sujet de chaque ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, décision qui doit dans certains cas être assortie d’une interdiction d’entrée. La directive 2008/115 accorde une priorité au départ volontaire, mais prévoit la possibilité pour les États membres d’employer des mesures coercitives, qui ne doivent pas être disproportionnées, pour exécuter la décision de retour. S’agissant des droits fondamentaux des intéressés, la directive limite la durée et les fondements de la mise en rétention, prévoit le respect de l’intégrité physique, du droit à la vie familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle offre des garanties en matière d’information des intéressés ainsi qu’en matière de droit de recours contre les décisions adoptées à leur encontre devant un organe administratif ou judiciaire.

L’affaire C-329/11, Achughbabian, soulève la question de savoir si la directive 2008/115 s’oppose à une réglementation nationale (en l’occurrence de la République française) prévoyant, en cas de séjour irrégulier, une peine d’emprisonnement et une amende. Il importe de relever que, au moment de l’envoi de la demande de décision préjudicielle, l’ordre juridique français n’étais pas le seul à prévoir l’incrimination du séjour irrégulier, mais beaucoup d’autres États membres incriminaient aussi d’une manière ou d’une autre l’entrée ou le séjour irrégulier sur leur territoire. Dans le cas de la Bulgarie, l’entrée irrégulière sur le territoire national est punie d’une peine d’emprisonnement de jusqu’à cinq ans et d’une amende.

S’agissant des faits de l’affaire C-329/11, M. Achughbabian, ressortissant arménien, a été arrêté en France et placé en garde à vue parce qu’il était soupçonné d’avoir commis et de continuer à commettre le délit de pénétrer ou séjourner irrégulièrement en France, délit punissable d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros. Un arrêté de reconduite à la frontière et un arrêté de placement en rétention administrative ont été adoptés à son encontre. M. Achughbabian a invoqué l’illégalité de son placement en garde à vue, tirée de la non-conformité de la législation française incriminant le séjour irrégulier avec la directive 2008/115, au vu de l’arrêt de la Cour dans l’affaire C‑61/11 PPU, El Dridi. La question préjudicielle portait donc sur cet aspect.

La Cour relève, d’abord, que cette directive ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui qualifie le séjour irrégulier d’un ressortissant d’un pays tiers de délit et prévoit des sanctions pénales, y compris une peine d’emprisonnement, ni à un placement en détention en vue de déterminer le caractère régulier ou non du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers.

Cependant, elle constate que la réglementation en cause est susceptible de mener à un emprisonnement au cours de la procédure de retour.Or, selon la Cour, l’imposition et l’exécution d’une peine d’emprisonnement au cours de la procédure de retour ne contribuent pas à la réalisation de l’éloignement que cette procédure vise.

Elle en déduit que la directive 2008/115 s’oppose à une réglementation nationale permettant l’emprisonnement d’un étranger en séjour irrégulier qui doit être prioritairement soumis aux mesures coercitives prévues par la directive et qui ne peut qu’être temporairement placé en rétention en vue de l’application de la procédure d’éloignement.

La Cour rappelle, enfin, que les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions pénales réglant, dans le respect de cette directive, la situation dans laquelle les mesures coercitives n’ont pas permis de parvenir à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier et considère que ladite directive ne s’oppose pas à ce que des sanctions pénales soient infligées à des ressortissants de pays tiers auxquels la procédure de retour a été appliquée et qui séjournent irrégulièrement sur le territoire d’un État membre sans motif justifié de non-retour.

L’affaire C‑329/11, Achughbabian, attire l’attention sur deux points principaux.

En premier lieu, elle jette de la lumière sur la relation entre deux procédures préjudicielles permettant à la Cour de statuer dans des délais considérablement plus brefs que l’habituel, à savoir la procédure d’urgence et la procédure accélérée. En l’espèce, la demande de la juridiction de renvoi portant sur le déclenchement de la première a été rejetée, mais celle relative à la seconde a été accueillie. Le Président de la Cour a motivé sa décision de faire droit à cette demande en relevant que, s’il est avéré que, dans l’affaire en cause au principal, il est certes mis fin à la rétention de M. Achughbabian, il n’en reste pas moins que certaines des personnes intéressées dans les affaires pendantes devant les juridictions françaises compétentes en la matière autres que la juridiction de renvoi sont, ainsi que le précise cette dernière, privées de leur liberté ou bien susceptibles de l’être et leur maintien ou leur mise en liberté dépend de la réponse à apporter à la question posée par la juridiction de renvoi.

En second lieu, l’arrêt de la Cour dans l’affaire C‑329/11, Achughbabian, comporte des précisions importantes sur le “début” et la “fin” du champ d’application de la directive 2008/115, ainsi que sur le limites que celle-ci apporte à la compétence pénale des États membres en matière d’immigration clandestine.

 

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Към статията на български език: КРИМИНАЛИЗИРАНЕТО НА НЕЗАКОННОТО ПРЕБИВАВАНЕ НА ГРАЖДАНИ НА ТРЕТИ СТРАНИ В ДЪРЖАВИТЕ — ЧЛЕНКИ НА ЕВРОПЕЙСКИЯ СЪЮЗ, И ОБЩАТА ИМИГРАЦИОННА ПОЛИТИКА

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[1]Assistant juridique à la Cour de justice de l’Union européenne.