La réglementation européenne relative au don de sang et de tissus et le droit de l’Union européenne de la bioéthique

Author

Maria Fartunova-Michel /

Maître de conférences en droit public Université de Lorraine, Membre de l’IRENEE

[*]

La réglementation européenne relative au don de sang et de tissus rompt avec l’idée préconçue selon laquelle l’Union européenne appréhende essentiellement la bioéthique à travers les enjeux économiques de la libre circulation confrontés aux impératifs de la protection de la personne et de son corps au titre de la dignité humaine[1]. Ce prisme conflictuel est désormais largement dépassé. Le dispositif européen relatif au don de sang et de tissus opère, en effet, un changement de paradigme, car il ne s’intègre pas dans de préoccupations de stimulation économique de la recherche scientifique et de compétitivité des entreprises européennes, à la différence de la directive 98/44/CE portant sur les biotechnologies[2].

Les directives 2002/98/CE et 2004/23/CE[3] ainsi que les textes intervenus pour leur mise en œuvre sont adoptés sur le fondement de l’article 168, paragraphe 4[4]. Or, l’on sait que cet article est interprété par la doctrine comme faisant entrer directement les préoccupations bioéthiques dans l’action normative de l’Union[5]. En effet, son paragraphe 4, point a) précise que « le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, contribuent à la réalisation des objectifs visés au présent article en adoptant, afin de faire face aux enjeux communs de sécurité (…) des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des organes et substances d’origine humaine, du sang et des dérivés du sang; ces mesures ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d’établir des mesures de protection plus strictes ». De plus, il autorise le législateur de l’Union, selon la procédure législative ordinaire, à adopter des mesures contraignantes à l’égard des Etats afin de mettre en œuvre un niveau élevé de sécurité pour la protection de santé humaine.

Ces actes de droit dérivé comblent les lacunes dans la législation existante en ce qui concerne le sang et les produits dérivés[6]. Pour ce qui est du don des tissus et cellules humaines, il a surtout permis de concrétiser les recommandations formulées par le Groupe européen d’éthique au sujet de « l’urgence d’un contrôle des conditions de circulation des tissus humains sur le marché européen »[7]. Faisant expressément référence à l’avis du Groupe[8], la Commission a circonscrit sa proposition autour de cinq idées force : « l’impératif éthique de sécurité sanitaire », « l’intégrité du corps humain », « le consentement préalable, libre et éclairé », « la protection de l’identité » et « un don de tissus, anonyme et gratuit, (…) acte volontaire de solidarité ».

Ce qui frappe à la lecture de ces directives est le changement terminologique. Les références à l’éthique sont déconnectées de l’aspect économique inhérent au fonctionnement du marché intérieur. Ce dernier n’est pas textuellement visé. Le don de sang et de tissus est lié à des problématiques classiques de la politique de santé publique. Il est envisagé à travers l’impératif éthique de sécurité sanitaire que les conditions et la gestion des risques sanitaires entourant le don poursuivent[9]. La problématique de la sécurité publique et/ou de sécurité sanitaire impose alors de prendre en considération les enjeux bioéthiques indépendamment des interrogations éthiques du don à proprement parler.

La réglementation européenne relative au don est doublement marquée par la réflexion bioéthique. D’un côté et de manière générale, elle répond à une préoccupation de santé publique au sein de l’Union européenne : l’autosuffisance en sang et en tissus et cellules humains et de leurs conservations selon un niveau élevé de sécurité sanitaire parce qu’il s’agit de la matière première pour la fabrication des médicaments ou pour des thérapies innovantes. De l’autre côté et de manière plus spécifique, elle répond à une interrogation légitime s’agissant des conditions du don effectué dans le respect de la dignité humaine et les principes bioéthiques qui en résultent[10]. En ce sens, les directives 2002/98/CE et 2004/23/CE offrent un cadre institutionnel, normatif et procédural au sein duquel s’épanouit la réflexion bioéthique à un point tel qu’il n’est plus exagéré de les considérer comme un laboratoire pour l’émergence et la consolidation du droit de l’Union européenne de la bioéthique. En effet, malgré leur contenu très technique (qui vise in fine les obligations des Etats membres dans la mise en œuvre d’un réseau d’établissements nationaux habilités pour garantir un niveau élevé de sécurité sanitaire pour la collecte et la conservation du don), ces directives ont permis pour la première fois d’envisager l’action normative de l’Union en cohérence avec la particularité de la bioéthique. Elles ont aussi servi de test pour trouver un consensus sur la nature même du don en conformité avec le principe éthique de non commercialisation du corps humain.

D’ailleurs, dans le processus lancé en en octobre 2019 en vue de la refonte de ces deux directives, dont la proposition législative doit intervenir d’ici la fin de l’année 2021, la Commission a envisagé de les remplacer dans un seul et unique instrument, car elle estime non seulement que certaines dispositions techniques ne sont plus d’actualité, mais aussi qu’il n’y a plus lieu de traiter différemment le don de sang et de tissus. L’approche secteur par secteur initialement adoptée du don a abouti à ce que ce dernier puisse être pensé de manière plus intégrée et substantielle. Sans doute, la future proposition législative confirmera-t-elle cela. Mais il est déjà certain qu’elle consolidera au moins la façon dont s’élabore le droit de l’Union européenne de la bioéthique tant en ce qui concerne l’exercice de l’action normative de l’Union (I) que la recherche du consensus politique sur les principes éthiques entourant le don lui-même (II).

I. La réglementation européenne relative au don et l’action normative de l’Union européenne en matière de bioéthique

Les directives « sang » et « tissus » sont adoptées sur le fondement de l’article 168, paragraphe 4 TFUE qui, conformément au principe d’attribution, autorise explicitement l’Union européenne à intervenir dans ces domaines. Or, si ce constat justifie l’exercice de l’action normative en matière de bioéthique, il n’explique pas sa particularité. En effet, les directives « sangs » et « tissus » ont souligné non seulement l’importance du débat éthique sur le don en amont (A) mais aussi de ses modalités concrètes (B).

A. L’importance du débat éthique sur le don en amont de l’action normative

La réglementation européenne relative au don de sang et de tissus concrétise avant tout le discours des institutions de l’Union qui, dans leurs prises de positions, ont posé les jalons du débat éthique sur le don.

En effet, dès 1994, la Commission avait adopté une stratégie pour le don de sang dans sa communication sur la sécurité transfusionnelle et l’autosuffisance en sang dans la Communauté[11] qui devait permettre de renforcer la confiance dans la sécurité a Commission avait identifié la nécessité d’une stratégie pour le sang visant à renforcer la confiance dans la sécurité de la filière transfusionnelle et à promouvoir l’autosuffisance de la Communauté. Cette position a été entérinée par le Conseil qui, dans deux résolutions, du 2 juin 1995[12] et du 12 novembre 1996[13], mettait en avant le besoin de garantir la sécurité transfusionnelle ainsi que la mise en œuvre d’une stratégie en vue d’une telle sécurité. Le Parlement européen s’inscrivit aussi dans cette tendance générale, dans ses résolutions sur la sécurité du sang et la réalisation de l’autosuffisance dans la Communauté, car il avait souligné l’importance d’assurer le niveau maximal de sécurité au moment de la sélection des donneurs et l’importance des tests pratiqués sur les dons ainsi que le respect du principe du don volontaire et non rémunéré.

Sur ce point, le Conseil, dans sa recommandation, du 29 juin 1998[14], concernant l’admissibilité des donneurs du sang et de plasma et le dépistage pratiqué sur les dons de sang dans la Communauté européenne, a dressé toute une liste de mesures qui seraient souhaitables dans le cadre de la réglementation européenne. Parmi ces mesures, le Conseil soulignait, dans un premier temps, l’importance de l’information des candidats du don des risques qu’un don de mauvaise qualité pouvait avoir sur la transmission des maladies infectieuses telles que par exemple le SIDA. A cet égard, le Conseil préconisait une sensibilisation des donneurs à de tels risques et la garantie des informations communiquées par le donneur au titre de la confidentialité et de la protection des données à caractère personnel. Dans un deuxième temps, le Conseil mettait en avant l’importance des informations à demander au candidat au don. Il s’agit plus particulièrement des informations relatives à l’indentification du donneur et à ses antécédents médicaux. Dans un troisième temps, pour l’admissibilité des donneurs, le Conseil recommandait la mise en place dans les établissements compétents des questionnaires lesquels permettraient l’admissibilité des donneurs au cas par cas, la mise en place d’un fichier d’exclusion des candidats au don avec les raisons qui la justifient. Le Conseil recommandait également la pratique de tests inopinés sur les échantillons de sang et de produits dérivés, afin d’éviter tout risque de transmission de maladie lors de la transfusion sanguine[15].

Ce discours institutionnel est, par ailleurs, alimenté par les avis du Groupe européen d’éthique. Ainsi, dans le domaine du don de sang, l’avis n° 2, du 12 mars 1993, sur les produits dérivés du sang ou du plasma humain, le Groupe européen d’éthique avait déjà circonscrit le débat éthique. Celui-ci devait porter à la fois sur « la santé du receveur (disponibilité et qualité du sang ; respect du donneur (anonymat, don volontaire) ; non-commercialisation du corps humain (gratuité du don du sang) ». De même, dans le domaine du don des tissus et cellules humains, les conditions relatives au donneur sont considérées par le Groupe européen d’éthique comme un « impératif éthique de sécurité sanitaire »[16]. Cet impératif éthique de sécurité sanitaire se traduit dans la mise en place d’une information adéquate quant aux risques encourus ainsi que sur la nécessité d’obtenir des informations de la part des donneurs relatifs à leurs antécédents médicaux et de procéder, le cas échéant à des analyses biologiques approfondies[17].

Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que, dans sa proposition de la directive 2002/98/CE, la Commission fait état de l’ensemble de prises de position institutionnelles et des termes du débat éthique portant sur le don de sang[18]. Dans la proposition de la directive 2004/23/CE[19], l’avis du Groupe européen d’éthique a constitué le texte de référence pour éclairer les enjeux éthiques que pose le don de tissus et de cellules.

L’intervention normative par l’intermédiaire des directives 2002/98/CE et 2004/24/CE est tardive eu égard à la naissance et la teneur du discours institutionnel sur le don. Elle n’a pu se concrétiser qu’après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam et l’intégration dans les traités de l’article 152 CE devenu l’article 168 TFUE. En revanche, l’antériorité de ce débat a contribué à pallier en quelque sorte la lenteur inhérente à la procédure législative ainsi que le caractère politique sensible d’une législation portant sur le don surtout lorsqu’elle est envisagée au niveau supranational là où les pratiques nationales divergent fortement[20].

Le débat éthique antérieur à la réglementation européenne relative au don de sang et de tissus a surtout permis d’en dégager les modalités concrètes et de s’imposer par la même occasion comme l’étape préalable à toute action normative.

B. Les modalités concrètes du débat éthique sur le don en amont de l’action normative

L’existence d’un débat éthique sur le don en amont de toute action normative circonscrit, dans une certaine mesure, l’initiative législative de la Commission. Il constitue, dans les travaux législatifs préparatoires, un outil essentiel qui lui permet d’apprécier la pertinence ainsi que le caractère subsidiaire et proportionné[21] des mesures législatives qu’elle propose. Dans ce contexte, il apparaît tout à fait logique que le déclenchement du débat éthique sur le don soit à l’initiative des services compétents de la Commission[22]. L’analyse de la position de la Commission en amont de la proposition législative permet de constater une tendance déjà observée sur la bioéthique en général et sur le don de sang et de tissus en particulier. Le débat éthique est externalisé et s’inscrit dans le cadre de la gouvernance européenne de la bioéthique[23] en ce qui concerne ses modalités concrètes.

Ainsi, tout d’abord, le débat éthique associe clairement le Groupe européen d’éthique qui a progressivement acquis une légitimité grâce au développement de son expertise sur les questions bioéthiques[24]. Ensuite, ce débat éthique s’épanouit dans le cadre de consultations extérieures larges. Ainsi, dans sa proposition initiale de la directive 2002/98/CE, la Commission avait procédé à des consultations auprès des instances du Conseil de l’Europe, des Etats membres, voire certains Etats tiers (Etats-Unis) sur les enjeux éthiques du don, notamment son caractère volontaire et non rémunéré[25].

Enfin, pour préparer la refonte de la réglementation existante, la Commission européenne a procédé, dans un premier temps, à une évaluation approfondie du dispositif européen relatif au don dont les conclusions ont été publiées en octobre 2019[26]. Cette évaluation avait été menée en trois temps : une liste de route pour l’évaluation ; une consultation des parties prenantes (entendues le plus largement possible : non seulement les partenaires institutionnels, mais aussi 158 organisations et 43 citoyens) ; une étude extérieure. En octobre 2020, la Commission a adopté son programme de travail pour l’année 2021. La révision du dispositif européen relatif au don de sang et de tissus figure parmi les mesures législatives envisagées. Pour préparer la proposition législative, la Commission a lancé un processus de réflexion selon une nouvelle feuille de route qui s’intégrait plus précisément dans le travail préparatoire législatif, notamment par une étude d’impact de cette révision législative. Cette étude d’impact visait avant tout à s’assurer de la pertinence de la révision au regard des lacunes constatées : une insuffisance de la protection des patients contre certains risques, compte tenu de l’évolution des maladies transmissibles ; une approche divergente qui est à l’origine de niveau de sécurité différent empêchant ainsi l’échange des dons à travers l’Union européenne ; une insuffisance de protection des donneurs et des enfants issus du don des cellules reproductives ; une nécessité d’adapter la législation européenne existante à l’évolution technologique ; un risque de pénurie de certains éléments essentiels sanguins, tissulaires et cellulaires[27].

Deux nouvelles consultations publiques en ligne ont été organisées en janvier 2021 avec les parties prenantes (parmi lesquels l’on retrouve des organisations non gouvernementales et des citoyens) et se sont terminées le 15 avril 2021. Elles ont conduit à la tenue de trois workshops courant mai 2021 avec les services de la DG Santé de la Commission. Ces trois workshops avaient pour but de réfléchir sur le renforcement de l’efficacité des dispositifs relatifs au don de sang et au don de tissus et cellules et, enfin, sur la mise en place de règles techniques entourant le don[28]. Ce travail de consultation s’accompagne d’une étude extérieure menée par des experts extérieurs pour envisager les nouveaux enjeux posés par l’utilisation de l’intelligence artificielle dans ce domaine. Parallèlement à ce travail, une étude avait aussi été diligentée sur les futures modalités concrètes d’application de ce nouveau dispositif au sein des Etats membres.

Le processus de révision de la réglementation européenne est dans la phase d’élaboration du texte de la proposition législative qui doit intervenir d’ici la fin de l’année 2021. Il souligne l’importance du débat éthique en amont de l’exercice de l’action normative. Il confirme aussi que, dans le domaine du don, ce débat n’est pas exclusivement réservé aux scientifiques et aux experts. Il doit permettre aussi aux citoyens de s’exprimer sur ces questions et que l’opinion publique a son rôle à jouer quant à la légitimité de l’action normative de l’Union dans ce domaine. Il contribue sans conteste à alimenter la réflexion bioéthique sur le don et fait émerger un consensus politique certes délicat sur les principes éthiques appliqués au don. Mais encore faut-il qu’il puisse permettre de dépasser les divergences conceptuelles qui sont en l’état encore bien ancrées au sein des Etats membres.

II. La réglementation européenne relative au don et la recherche d’un consensus politique sur les principes de la bioéthique

La réglementation européenne relative au don rend compte de la difficulté de concrétiser les principes de la bioéthique dans un espace décloisonné et transnational. Elle est aussi l’exemple éclairant de la façon dont se réalise le droit de l’Union européenne de la bioéthique et de ses caractéristiques découlant du mécanisme même de l’intégration. L’affirmation a priori consensuelle des principes bioéthiques (A) se heurte à la particularité de la mise en œuvre nationale qui contribue, dans une certaine mesure, à en relativiser la portée (B).

A. Une affirmation a priori consensuelle des principes bioéthiques appliqués au don

La réglementation européenne relative au don et, surtout, la directive 2002/98/CE a offert, pour la première fois au législateur de l’Union, l’occasion de prendre ouvertement position sur la nature et la conception du don de sang. Celui-ci présente à cet égard une singularité par rapport au don de tissus et cellules humains. Celui-ci est un acte altruiste, volontaire et non rémunéré que le Parlement européen avait qualifié de « cadeau que le donneur fait » [29]. Ainsi, lors de la discussion de la proposition de la directive 2002/98/CE, il n’a pas hésité à l’amender afin que figure explicitement dans les considérants de la future directive l’importance de cette conception du don[30].

Cette prise de position se justifie, sans aucun doute, par la consécration du principe éthique de non-commercialisation du corps humain. Lié à la fois à la dignité humaine et à la particularité du corps humain lui-même, ce principe est inscrit désormais à l’article 3, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux. Cet article rappelle avec force qu’il est interdit de tirer profit économique du corps humain et de ses éléments. De ce principe éthique découle la gratuité du don qui peut être qualifié d’« élément-clé du dispositif européen »[31].

Paradoxalement, à cette affirmation claire, à laquelle souscrivent les directives 2002/98/CE[32] et 2004/23/CE[33], correspond une ambiguïté terminologique. La gratuité du don dans le dispositif européen n’est pas explicitement posée. Les directives « sang » et « tissus » formulent une obligation à l’égard des Etats membres qui doivent adopter des mesures « pour encourager les dons volontaires et non rémunérés » ou « s’efforcer de garantir que [le don] s’effectue sans but lucratif ». L’idée sous-jacente est, bien sûr, celle de l’absence de profit provenant du don dans l’objectif de ne pas remettre en cause le principe éthique de non-commercialisation du corps humain. Or, la formulation « encourage les dons non rémunérés » s’effectuant « sans but lucratif » ne s’analyse pas en substance en une interdiction. Elle n’exclut pas a priori une compensation pécuniaire qui, dans le cadre de la directive « tissus » peut couvrir les dépenses et la perte de revenus liées au don. La généralité des termes utilisés renvoie aux Etats membres de déterminer le montant et la nature de cette compensation. Elle crée ainsi une asymétrie entre les Etats membres et laisse aux donneurs le choix et la possibilité de contourner une législation nationale plus stricte où le caractère altruiste du don est davantage prégnant sur l’éventuelle compensation attribuée. C’est en ce sens que les directives ont été considérées par la doctrine, à juste titre, comme potentiellement incompatibles avec les prescriptions de l’article 3, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux[34].

Cette ambiguïté terminologique a été évoquée lors des consultations avec les parties prenantes ainsi que lors des consultions externes avec le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe au printemps 2021 dans le cadre du processus de révision de la réglementation européenne relative au don de sang et de tissus humains. Il faudra donc attendre la proposition législative de la Commission pour savoir exactement l’importance qu’elle aura accordée à cette divergence textuelle au regard non seulement de l’article 3, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux, mais aussi au regard de l’émergence d’une conception européenne de l’acte de don lui-même. Mais l’on peut, d’ores et déjà, affirmer qu’une adaptation textuelle sera nécessaire ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’une refonte des deux directives en un seul instrument normatif[35].

Il résulte donc de la lecture des directive un flou conceptuel qui va au-delà du principe de non-commercialisation du corps humain lui-même. L’on peut formuler la même observation en ce qui concerne les autres principes éthiques qui entourent le don, notamment lorsqu’il s’agit de la protection des donneurs. Si les directives 2002/98/CE et 2004/23/CE posent l’exigence d’un consentement libre et éclairé pour les candidats au don, elles sont silencieuses en ce qui concerne les contours et le contenu de cette exigence. Elle apparaît davantage déterminée par rapport à l’obligation d’information des candidats au don. Il en est de même du caractère anonyme du don, notamment lorsqu’il s’agit des cellules reproductives qui entrent dans le champ d’application de la directive 2004/23/CE[36].

Ce décalage conceptuel constaté entre l’affirmation des principes bioéthiques et leur concrétisation dans la réglementation européenne s’explique avant tout par l’objectif premier poursuivi par cette réglementation (un impératif de sécurité sanitaire, de santé publique devant conduire à une autosuffisance en sang et en tissus et cellules humains) doublée avec la légitimité de l’Union de s’en emparer. La référence aux principes bioéthiques pour inévitable qu’elle soit est ambivalente. Elle ne prend pas le pas sur l’objectif de santé publique recherché. Elle reste en retrait. D’ailleurs, le désaccord entre le Parlement européen et le Conseil lors de la discussion de la proposition de la directive sang est topique des difficultés que suscite une telle réglementation[37]. Il n’est pas alors exagéré de considérer que les principes bioéthiques sont davantage envisagés dans leur fonction de régulation et d’orientation de l’action des Etats membres lorsqu’ils mettent en œuvre la réglementation européenne. Ce qui in fine affecte la portée des principes bioéthiques ainsi affirmés.

B. La mise en œuvre nationale de la réglementation européenne relative au don et la portée des principes bioéthiques

La réglementation européenne relative au don confère une marge importante aux Etats membres pour sa mise en œuvre. De par l’instrumentum, les directives 2002/98/CE et 2004/23/CE nécessitent des mesures nationales de transposition. De par leur contenu, elles créent des standards procéduraux qu’il faut respecter lors de la collecte et la conservation du don. A y regarder de près, l’on retrouve dans ces directives l’instauration d’un système administratif spécialisé très complet au sein duquel les autorités nationales compétentes et les Etats ont un rôle à jouer pour atteindre l’objectif initial visé. Ils jouissent d’une large marge de manœuvre. Partant, les directives n’opèrent pas une harmonisation des disparités législatives et nationales. Elles tentent de rapprocher progressivement et par étapes les pratiques nationales tant en ce qui concerne les conditions entourant le don lui-même que la nature du don en tant qu’acte altruiste, volontaire et non rémunéré[38].

S’agissant des conditions l’admissibilité aux dons[39], les directives « sang » et « tissus » précisent les conditions relatives aux donneurs au regard de leur objectif de sécurité sanitaire élevée qu’elles poursuivent et laissent une marge importante aux Etats pour déterminer les situations d’exclusion du don.

Ainsi, dans son arrêt Léger[40], saisie à titre préjudiciel par le Tribunal administratif de Strasbourg, la Cour de justice devait se prononcer sur la compatibilité du régime français excluant de manière permanente du don de sang les individus dont les comportements sexuels les expose au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang. La Cour de justice a interprété la directive 2004/33/CE mettant en œuvre la directive 2002/98/CE en faveur de la marge nationale en ce qui concerne les conditions d’exclusion du don. Sur ce point, elle est allée plus loin puisqu’elle a également précisé que les autorités nationales compétentes disposaient d’un pouvoir discrétionnaire d’appréciation eu égard aux données communiquées par le donneur. Ce faisant, la Cour de justice a non seulement considéré compatible avec la réglementation européenne le régime français particulièrement strict, mais aussi elle a autorisé in fine un traitement différentiel, voire discriminatoire en raison de l’orientation sexuelle.

Or, l’article 12 de la loi française de la bioéthique[41] modifie le dispositif existant. Il autorise le ministre de la santé à définir les critères de sélection des donneurs de sang. Ces critères « ne peuvent être fondés sur aucune différence de traitement, notamment en ce qui concerne le sexe des partenaires avec lesquels les donneurs auraient entretenu des relations sexuelles, non justifiée par la nécessité de protéger le donneur ou le receveur. Les critères sont régulièrement révisés pour tenir compte notamment de l’évolution des connaissances, des dispositifs de sécurisation et des risques sanitaires ». Cette modification doit intervenir de manière progressive d’ici 2023.

S’agissant du don volontaire et non rémunéré, la Commission de manière constante dresse un bilan de l’évolution de législations nationales. Ainsi, dans son premier rapport sur la promotion par les États membres des dons de sang volontaires et non rémunérés[42], la Commission constate que la pratique du don gratuit et volontaire est largement partagée au sein des Etats membres, malgré les différentes façons d’agrémenter les donneurs. Elle constate aussi l’effort des Etats d’inciter au don gratuit compte tenu de son importance scientifique, médicale, voire vitale. Ce constat positif sera confirmé dans le premier rapport sur l’application de la directive « sang » dans lequel la Commission constate que « onze États membres ont pris des mesures pour encourager les dons de sang volontaires et non rémunérés afin de garantir que, dans toute la mesure du possible, le sang et les composants sanguins proviennent de ces dons »[43].

Dans son Deuxième rapport sur le don volontaire et non rémunéré de sang et de composants sanguins[44], la Commission constate que seule l’Irlande n’avait pas prévu de disposition législative ou réglementaire concernant la gratuité du don et que seule la République tchèque avait prévu une réglementation non contraignante. Les autres Etats membres avaient prévu des dispositions contraignantes concernant le don volontaire. Par ailleurs, dans la continuité de cette tendance partagée par les Etats membres, certains avaient même instauré des sanctions en cas de violation de cette obligation du don volontaire et gratuit. Toutefois, la Commission souligne que, pour l’instant, cette législation n’avait pas été appliquée. Dans son deuxième rapport sur l’application de la directive, la Commission a une position plus réservée[45]. Tout en soulignant l’effort des Etats membres pour la promotion du don gratuit, elle estime qu’il reste encore insuffisant, même s’il est globalement satisfaisant. Pour justifier sa position, la Commission avance deux éléments. Tout d’abord, elle rappelle que « le principe de dons volontaires et non rémunérés est un facteur qui est non seulement éthique par nature, mais qui peut contribuer à renforcer les normes de sécurité et, ainsi, la protection de la santé humaine ». Ensuite, elle précise que « la manière dont les États membres de l’Union européenne ont mis en œuvre le principe de dons volontaires et non rémunérés est difficile à évaluer de manière exhaustive », notamment en raison de « la perception par les États membres de ce qui constitue une indemnisation ou une incitation varie ». Sans doute, la Commission souhaite-t-elle à inciter les Etats membres à prendre de mesures beaucoup plus effectives et contraignantes s’agissant du don de sang, non seulement, en ce qui concerne l’objectif d’autosuffisance en sang, mais aussi en ce qui concerne le principe éthique du don volontaire.

Pour la directive « tissu et cellule », la Commission fait le même constat tout en encourageant les Etats membres à maintenir et renforcer leurs efforts dans ce domaine[46]. Dans son deuxième rapport, la Commission reconnaît que les efforts entrepris par les Etats membres sont globalement satisfaisants[47].

Toutefois, malgré ce constat plutôt positif en ce qui concerne le don volontaire et non rémunéré, la Commission termine ses rapports tant dans le domaine du sang que dans le domaine de « tissus » en soulignant la nécessité de « réfléchir, en concertation avec les Etats membres pour l’adoption de mesures complémentaires » dans les limites des attributions de l’Union sur cette question. Ces mesures complémentaires pourraient concerner la sanction de ce dispositif, soit sur le fondement de l’article 168 TFUE, soit par les Etats membres. Il faudra attendre la proposition législative de la Commission pour savoir si une telle option était envisageable dans la refonte de deux directives. Dans tous les cas, la procédure d’évaluation périodique oblige déjà les Etats membres à communiquer des rapports nationaux non seulement sur la législation nationale concernant le don, mais aussi sur la mise en œuvre concrète des directives au sein des établissements habilités.

La procédure d’évaluation dans le domaine de la bioéthique n’est pas propre au droit de l’Union européenne. L’on la retrouve aussi en droit national. Elle est en cohérence avec la nature même de la norme bioéthique et permet son adaptabilité. Au niveau de l’Union européenne, la procédure d’évaluation contribue à rapprocher de manière progressive les pratiques nationales dans le respect des choix éthiques nationaux. Mais elle révèle aussi la singularité du droit de l’Union européenne de la bioéthique à l’instar du droit national. C’est un droit de l’expérimentation qui se réalise de manière graduelle, par strates et par touches successives au gré de l’évolution de la société, mais aussi de l’avancement du projet politique médiat de l’intégration. La révision future de la réglementation relative au don de sang et de tissus en est sans conteste l’illustration.

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[*] Nous prolongeons l’analyse de la réglementation européenne relative au don de sang et de tissus proposée dans l’ouvrage, M. FARTUNOVA-MICHEL, B. NABLI, Droit de l’Union européenne de la bioéthique, Bruxelles, Bruylant, 2021, 414 p, dans une perspective prospective eu égard au processus de refonte annoncée par la Commission et qui doit se concrétiser à la fin de l’année 2021.

[1] CJCE, 9 octobre 2001, Royaume des Pays-Bas c/Parlement et Conseil, aff. C-377/98 : ECLI:EU:C:2001:523 ; CJCE, gde ch., 14 octobre 2004, Omega, aff. C-36/02, EU:C:2004:614.

[2] Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, JOUE n° L 213, du 30 juillet 1998, p. 13.

[3] Directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 2003, établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, la conservation et la distribution du sang humain, et des composants sanguins, et modifiant la directive 2001/83/CE (JOUE n° L 33, du 8 février 2003, p. 30-40) ; la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains (JOUE n° L 102, du 7 avril 2004, pp. 48-58).

[4] L’article 168, paragraphe 4, TFUE sera aussi mobilisé pour l’adoption de la directive 2010/53/UE, relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains destinés à la transplantation. Sa justification tenait en substance à « la pénurie actuelle d’organes (…) [à l’impératif] de trouver un juste équilibre entre deux facteurs: la nécessité de permettre des transplantations d’organe, qui est généralement une question de vie ou de mort, d’une part, et celle d’assurer des normes élevées de qualité et de sécurité, d’autre part ».V. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains destinés à la transplantation, COM(2008)818 final. Mais le don d’organes ne soulève pas exactement les mêmes interrogations que le don de sang et de tissus, comme le souligne à juste titre le considérant 9 de la directive 2004/23/CE. De plus, la Commission avait exclu la thématique du don d’organes de sa réflexion lancée en 2018 pour la révision de la réglementation européenne sur ce sujet.

[5] L. Dubouis, « Le droit de l’Union européenne et l’éthique biomédicale », RAELEA, 2003-2004, pp. 203 ; V. N. DE GROVE-VALDEYRON, Droit européen de la santé, Paris, LGDJ, 2018, spéc. p. 15 et s.

[6] V. sur ce point, l’exposé des motifs par la Commission de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, le stockage et la distribution du sang humain et des composants sanguins et modifiant la directive 89/381/CEE du Conseil, JOUE n° C 154, du 29 mai 2001, p. 141.

[7] V. point 6 de l’exposé des motifs par la Commission de Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains, COM(2002)319 final.

[8] Avis n° 11 sur les « Aspects éthiques des banques de tissus humains », du 21 juillet 1998. p.11.

[9] Pour une présentation de ces questions, V. M. FARTUNOVA-MICHEL, B. NABLI, Droit de l’Union européenne de la bioéthique, Bruxelles, Bruylant, 2021, op. cit.

[10] V. sur ce point, l’article 3 de la Charte des droits fondamentaux.

[11] COM(94)652, final.

[12] Résolution du Conseil, du 2 juin 1995, sur la sécurité transfusionnelle et l’autosuffisance en sang dans la Communauté, JOUE n° C 164, du 30 juin 1995, p. 1.

[13] Résolution du Conseil, du 12 novembre 1996, sur une stratégie visant la sécurité du sang et l’autosuffisance en sang dans la Communauté européenne, JOCE n° C 374, du 11 décembre 1996, p. 1

[14] Recommandation du Conseil, du 29 juin 1998, concernant l’admissibilité des donneurs de sang et de plasma et le dépistage pratiqué sur les dons de sang dans la Communauté européenne, JOUE n° L 203, du 21 juillet 1998, p. 14.

[15] Le chapitre VI de la directive 2002/98/CE reprend toutes ces recommandations et leur donne une assise juridique contraignante en ce sens où les Etats membres sont tenus de prévoir des mesures nationales de transposition de nature à permettre la qualité et la sécurité du sang et des composants sanguins. La directive 2004/33/CE (de la Commission, du 22 mars 2004, portant application de la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil concernant certaines exigences techniques relatives au sang et aux composants sanguins, JOUE n° L 91, du 30 mars 2004) complète ces exigences. Son annexe II, Partie B détermine les éléments précis d’information que les autorités nationales doivent obtenir de la part des donneurs, notamment en ce qui concerne leur état de santé.

[16] Avis n° 11 relatif aux aspects éthiques des banques de tissus humains du 21 juillet 1998.

[17] Le chapitre III de la directive 2004/23/CE reprend ces exigences parce qu’il pose le principe du don volontaire et non rémunéré, du consentement du donneur, de la protection des données et la confidentialité et les critères de sélection, évaluation et obtention du don. C’est la directive 2006/17/CE qui concrétise ces exigences, notamment son annexe I qui précise les critères de sélection des donneurs. Directive 2006/17/CE de la Commission, du 8 février 2006, portant application de la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil concernant certaines exigences techniques relatives au don, à l’obtention et au contrôle de tissus et de cellules d’origine humain, JOUE n° L 330, du 28 novembre 2006.

[18] Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, le stockage et la distribution du sang humain et des composants sanguins et modifiant la directive 89/381/CEE du Conseil, JOUE n° C 154 E, du 29 mai 2001, spéc. p. 141-163.

[19] Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains, COM(2002) 319 final.

[20] La directive 2002/98/CE a été adoptée en troisième lecture après convocation du comité de conciliation et son adoption effective intervient 2 ans après la proposition législative. L’adoption de la directive 2004/23/CE intervient aussi 2 ans après la proposition législative, mais en deuxième lecture.

[21] Conformément aux prescriptions de l’article 168 TFUE.

[22] Cela ne se vérifie pas s’agissant du don de sang. Les résolutions du Parlement européen et les recommandations du Conseil font aussi écho à l’absence d’une base juridique explicite dans les traités, l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam remédiant à cela et donnant explicitement le pouvoir d’initiative à la Commission. Elles soulignent aussi l’urgence sanitaire dans le domaine du sang et des produits dérivés.

[23] V. sur ce point, M. FARTUNOVA-MICHEL, B. NABLI, Droit de l’Union européenne de la bioéthique, op. ct.

[24] Dans sa proposition législative de la directive 2004/23/CE, la Commission s’est appuyée expressément sur l’avis du Groupe européen d’éthique. Mais son rôle, dans le travail législatif, doit être nuancé dans la mesure où la Commission peut décider de solliciter ou non son avis, même si celui-ci dispose de la possibilité de se saisir d’office sur telle ou telle question. Il faudra, par ailleurs, suivre si celui-ci sera associé à la réflexion que mènera la Commission lors de l’élaboration de sa proposition législative dans le cadre du processus de refonte engagé.

[25] V. l’introduction de la proposition législative précitée.

[26] Evalution, of the Union legislation on blood, tissus and cells, SWD(2019)375 final. L’ensemble du processus peut être consulté sur le site de la Commission : https://ec.europa.eu/health/blood_tissues_organs/policy/revision_fr.

[27] V. sur ce point, la liste dressée par la Commission dans la feuille de route consultable en ligne : https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/12734-Blood-tissues-and-cells-for-medical-treatments-&-therapies-revised-EU-rules_en

[28] Pour une présentation de l’ensemble du processus, V. les informations sur le site de la Commission : https://ec.europa.eu/health/blood_tissues_organs/policy/revision_fr.

[29] Dans son avis n° 2, du 12 mars 1993, sur les produits dérivés du sang ou du plasma humain, le Groupe européen d’éthique avait déjà précisé que « Le respect de l’individu (droit à la vie, à l’intégrité physique; respect de la dignité humaine), qu’il soit donneur ou receveur, est à la base du principe éthique de non-commercialisation du corps humain en général et du sang en particulier. Deux conséquences en découlent : le don du sang devrait être volontaire, non rémunéré et anonyme; il devrait être interdit à quiconque de tirer profit du sang d’un donneur ». De son côté, le Parlement européen avait considéré que le don est « un cadeau » que le donneur fait. Celui-ci doit alors être anonyme, volontaire et gratuit. V. aussi, la directive 2010/53/CE, dès son considérant 19 précise que « l’altruisme est un facteur important du don d’organes. Afin d’assurer la qualité et la sécurité des organes, les programmes de transplantation devraient reposer sur les principes du don volontaire et non rémunéré. C’est essentiel, car la violation de ces principes pourrait entraîner des risques inacceptables. Lorsque le don n’est pas volontaire et/ou lorsqu’il est effectué en vue d’un gain financier, la qualité du processus de don pourrait être compromise, car améliorer la qualité de vie ou sauver la vie d’une personne n’est pas le principal et/ou le seul but. Même si le processus est développé conformément à des normes de qualité appropriées, l’historique médical obtenu, soit d’un donneur vivant potentiel, soit de la famille d’un donneur décédé potentiel cherchant un gain financier ou soumis à toutes sortes de pressions pourrait ne pas être suffisamment précis du point de vue des conditions et/ou des maladies potentiellement transmissibles du donneur au receveur. Un tel cas de figure pourrait donner lieu à un problème de sécurité pour le receveur potentiel car l’équipe médicale aurait une capacité limitée d’effectuer une analyse de risque appropriée. Il convient de rappeler la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et notamment le principe énoncé à son article 3, paragraphe 2, point c). Ce principe est également inscrit à l’article 21 de la convention sur les droits de l’homme et la biomédecine du Conseil de l’Europe, que de nombreux États membres ont ratifiée. Il ressort également des principes directeurs de l’Organisation mondiale de la santé sur la transplantation de cellules, de tissus et d’organes humains, selon lesquels le corps humain et les parties du corps humain ne peuvent faire l’objet de transactions commerciales ». Son article 13 concrétise ses exigences en formulant une obligation à l’égard des Etats de garantir le don volontaire et non rémunéré.

[30] V. Le rapport du Parlement européen, du 12 juillet 2001, sur la proposition de directive du Parlement européen et le Conseil sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, le stockage et la distribution du sang humain et des composants sanguins et modifiant la directive 89/381/CEE du Conseil – commission de l’environnement, de la santé publique et de la politique des consommateurs (2000/0323(COD : « Considérant (1 bis) L’article 3, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne précise qu’il est interdit de faire du corps humain et de ses parties une source de profit. Ceci vaut également pour le sang humain, quel que soit son état (liquide, solide, congelé, lyophilisé, etc.). Le sang n’est pas une marchandise, mais un don que fait un être humain à un autre sans considération de la race, de la religion, de la nationalité, etc. du bénéficiaire. Une plus grande sécurité augmente la confiance à l’égard du système d’approvisionnement, ce qui encourage davantage encore les donneurs à faire don de leur sang. Afin de pouvoir sélectionner de façon critique les donneurs les plus adéquats et de garantir une certaine autosuffisance, il faut un grand nombre de donneurs. Le manque de dons non rémunérés de sang constitue la principale menace pesant sur la sécurité d’approvisionnement de l’Union européenne en sang. Une directive dont le but est de garantir une sécurité d’approvisionnement élevée de l’Union européenne en sang doit donc comporter des mesures de recrutement et de fidélisation des donneurs adéquats ainsi que des initiatives visant à réduire la dépendance à l’égard de sang importé de pays tiers ».

[31] V. sur ce point, M. FARTUNOVA-MICHEL, B. NABLI, Droit de l’Union européenne de la bioéthique, op. cit.

[32] Son considérant 20 précise que « la pratique moderne en matière de transfusion sanguine repose sur les principes du don volontaire (…) du bénévolat du donner et de l’absence de profit pour les établissements participant aux services de transfusion sanguine ». De même, son considérant 23 va plus loin parce qu’il fait du don de sang volontaire et non rémunéré un facteur pouvant contribuer à assurer un niveau élevé des normes de sécurité du sang et des composants sanguins et, partant, la protection de la santé publique. L’article 20 de la directive érige en principe le don de sang volontaire et non rémunéré : « Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour encourager les dons volontaires et non rémunérés en vue de garantir que, dans toute la mesure du possible, le sang et les composants sanguins proviennent de ces dons ».

[33] Le considérant 19 reprend que les dons de tissus et cellules, volontaires et non rémunérés, constituent un facteur de nature à contribuer au relèvement des normes de sécurité des tissus et cellules et, partant, à la protection de la santé humaine ». Son article 12 précise que « les Etats membres s’efforcent de garantir les dons volontaires et non rémunérés de tissus et cellules. Les donneurs peuvent recevoir une indemnisation qui est rigoureusement limitée à la couverture des dépenses et désagréments liés au don. Dans ce cas, les Etats membres définissent les conditions en vertu desquelles ces indemnisations peuvent être accordées ».

[34] V. sur ce point, le commentaire de l’article 3, paragraphe 2, de la Charte F. VANNESTE, « Article 3 – Droit à l’intégrité de la personne », in PICOD F., Rizcallah C., VAN DROOROECK S. (dir.), Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2ème éd., 2020, pp. 82-101.

[35] La question du don volontaire et rémunéré ne se pose pas de la même manière pour le sang et pour les tissus et cellules. V. sur ce point, E. RIALS-SEBBAG, A. MAHALATCHIMY, A.-M. DUGUET, « Cells’safety in Europe : Towards an ethical safety », Journal international de bioéthique et d’éthique des sciences, 2017, p. 107.

[36] V. le considérant 7 de la directive 2004/23/CE « tissus » ainsi que l’arrêt de la CJUE, 11 juin 2015, Commission c. Pologne, aff. C-29/14, ECLI:EU:C:2015:379.

[37] Au cours de la procédure législative, au fond, le Parlement européen défendait l’importance d’encadrer la marge des Etats pour l’accès au don et que seul un examen effectué par un médecin répondait aux exigences de haute sécurité sanitaire et aux exigences éthiques. Pour le Conseil, en revanche, cet examen pouvait être effectué par un professionnel de santé. Le texte de compromis retenu dans la directive autorise tout professionnel de santé qualifié à procéder à un tel examen avant l’accès au don. Par ailleurs, la question des qualifications exigées et celle de la marge reconnue aux Etats ont été récemment tranchées par la Cour de justice, V. CJUE, 10 mars 2021, Ordine Nazionale dei Biologi e.a., aff. C-96/20 : ECLI:EU:C:2021:191.

[38] Pour une étude éclairante, V. L. AMBROISE, I. PRIM-ALLAZ, M. SEVILLE, « Le rôle des motivations altruistes et des normes personnelles, sociales et morales dans l’engagement des donneurs de sang », Décisions Marketing, 2020, p. 33.

[39] V. dans ce sens aussi l’avis 11 du Groupe européen d’éthique sur les Aspects éthiques des banques de tissus.

[40] CJUE, 29 avril 2015, Léger, aff. C-528/13 : ECLI:EU:C:2015:288. Pour une analyse de cet arrêt sous l’angle de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, V. A. Tryfonidou, ‘‘The Leger Ruling as Another Example of the ECJ’s Disappointingly Reticent Approach to the Protection of the Rights of LGB persons under EU Law”, ELR, 2016, pp. 91-104.

[41] Loi n° 2021-1017, du 2 août 2021, relative à la bioéthique, JOFR, 3 août 2021.

[42] Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen : Rapport sur la promotion par les États membres des dons de sang volontaires et non rémunérés, COM(2006)217 final, du 17 mai 2006.

[43] Rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité économique et social européen et au Comité des régions – Premier Rapport sur l’application de la directive sur le sang, COM(2006)313 final, du 19 juin 2006.

[44] Rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité économique et social européen et au Comité des régions relatif à la mise en œuvre des directives 2002/98/CE, 2004/33/CE, 2005/61/CE et 2005/62/CE établissant des normes de qualité et de sécurité pour le sang humain et les composants sanguins, COM(2016) 224 final, du 21 avril 2016.

[45] Rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité économique et social européen et au Comité des régions, relatif à la mise en œuvre des directives 2002/98/CE, 2004/33/CE, 2005/61/CE et 2005/62/CE établissant des normes de qualité et de sécurité pour le sang.

[46] Rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen sur l’encouragement par les États membres aux dons volontaires et non rémunérés de tissus et de cellules, COM (2006)593 final, du 16 octobre 2006.

[47] Rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité économique et social européen et au Comité des régions : Deuxième rapport sur les dons volontaires et non rémunérés de tissus et de cellules, COM (2011)352 final, du 17 juin 2011.

Доц. д-р Мария Фъртунова-Mишел

Доцeнт в Université de Lorraine, Nancy и Centre Européen Universitaire, Nancy.