LA GOUVERNANCE ÉCONOMIQUE DE LA ZONE EURO (ASPECTS JURIDIQUES)

Author

Jean-Paul Keppenne[1]

 

L’Union européenne et en particulier la zone euro sont plongées dans une crise profonde depuis maintenant plusieurs années. Les réponses apportées à cette crise sont un mélange subtil de ‘carrots and sticks’, carotte et bâton, soit un mixte d’assistance financière et de réformes douloureuses. Je me concentrerai sur les “bâtons”, les “sticks”, et je laisserai mon collègue Alberto de Gregorio vous entretenir des “carottes”… Je ne parlerai pas de la justification économique de ces mesures mais j’en résumerai le contenu et je discuterai les montages juridiques, sophistiqués et évolutifs, qui ont été mis sur pied pour permettre ces réponses. J’aborderai également les scénarios juridiques qui sont actuellement en cours d’élaboration pour trouver des réponses durables aux problèmes de la zone euro.

Mon exposé comprendra donc 2 parties. Dans une première partie, je décrirai sommairement le cadre juridique de la gouvernance économique dans l’Union européenne et en particulier les développements de ce cadre depuis la crise de la zone euro. Dans une deuxième partie, je ferai un inventaire des grandes problématiques juridiques entourant cette matière, en esquissant quelques évolutions pour le futur.

Je m’exprime ici à titre purement personnel et sans engager aucunement l’institution pour laquelle je travaille.

I. La coordination des politiques économiques depuis

le traité de Maastricht jusqu’à aujourd’hui

Les structures de la gouvernance économique de la zone euro ont été mises sur pied par le Traité de Maastricht en 1992. Malgré plusieurs modifications depuis cette date, la structure principale est restée la même. Le principe de base est que, hormis le Royaume-Uni et le Danemark qui bénéficient d’un droit d’opt-out, tous les Etats qui sont membres de l’Union européenne ont vocation à entrer dans la zone euro dès lors qu’ils remplissent les critères prévus dans le Protocole n° 13. D’un point de vue juridique, la situation actuelle est donc une période transitoire. A l’intérieur de la zone euro, la politique monétaire est entièrement centralisée au niveau de la Banque centrale européenne. En revanche, les politiques économiques et budgétaires restent décentralisées entre les mains des Etats membres, qu’ils soient membres de la zone euro ou pas, tout en étant toutefois soumises à un contrôle externe par le niveau européen.

Ce contrôle externe est exercé pour l’essentiel par deux institutions: la Commission, qui analyse les politiques nationales et suggère au Conseil la conduite à tenir, et le Conseil qui dispose du pouvoir décisionnel. En termes juridiques, les traités disposent que les Etats membres coordonnent leurs politiques économiques au sein du Conseil. L’absence de toute référence au Parlement européen dans ce domaine est particulièrement frappante.

Jusque très récemment, ce contrôle externe sur les politiques économiques nationales s’exerçait de deux façons:

  • à l’égard des politiques macroéconomiques et des politiques structurelles des Etats membres (emploi, politique industrielle etc), une surveillance assez faible, sans aucun pouvoir contraignant (grandes orientations de politiques économiques, dont le non-respect ne peut être puni que par de simples recommandations du Conseil);
  • un contrôle plus effectif sur la politique budgétaire des Etats membres, que je vais résumer brièvement.

Les règles qui régissent ce contrôle budgétaire figurent à l’article 126 du TFUE et dans deux règlements du Conseil, l’ensemble de ces règles étant résumé sous le terme de “Pacte de Stabilité et de Croissance”.

Quel est l’objectif de cette coordination des politiques budgétaires? C’est l’exigence de finances publiques saines qui est elle-même supposée garantir la stabilité de l’UEM. Concrètement, des valeurs de référence sont fixées dans le Protocole N° 12 annexé au traité, à savoir les fameux chiffres de 3% de déficit annuel et de 60% de dette publique par rapport au PIB (produit intérieur brut) de l’Etat membre concerné.

La méthode est fondée sur une coordination multilatérale des politiques budgétaires au niveau de l’Union. Concrètement une procédure de surveillance des Etats membres est prévue, qui comprend un volet préventif et un volet correctif:

  • Le volet préventif comporte un mécanisme de surveillance en situation normale. Cette surveillance vise à maintenir les Etats membres sur des objectifs budgétaires à moyen terme prudents, pour garantir qu’ils pourront respecter la règle des 3% de déficit annuel même en cas de récession. C’est une surveillance sans décision contraignante, sans pouvoir de sanction, qui reposait surtout sur la pression politique entre Etats membres. Les instruments juridiques disponibles pour le Conseil et la Commission étaient les seuls instruments envisagés à l’article 121 du TFUE, à savoir des recommandations et des avertissements.
  • Le volet correctif, c’est la procédure dite “de déficit excessif” de l’article 126. Cette procédure comprend une série d’étapes successives de pressions contre les Etats dont le déficit annuel dépasse les fameux 3%: l’existence d’un déficit excessif est déclarée par le Conseil; ensuite celui-ci exige l’adoption de mesures correctives, ce qui peut mener in fine à l’adoption par le Conseil de sanctions d’abord politiques, puis financières. Cette procédure se substitue à la procédure normale en manquement devant la Cour de justice.

Ce système sans contrôle parlementaire et avec un contrôle juridictionnel limité avait connu une première crise en 2004 lorsque la France et l’Allemagne avaient violé leurs obligations budgétaires mais avaient réussi à faire bloquer la procédure au sein du Conseil. Cet épisode avait conduit à une révision du système en 2005.

Le système a encore davantage montré ses limites avec la crise financière de 2008. D’une part, sa mise en œuvre est restée plutôt laxiste depuis 2005, de sorte que la majorité des Etats membres se sont retrouvés en violation des règles sans être vraiment sanctionnés. D’autre part, on a constaté qu’à l’origine de la crise se trouvaient également des phénomènes non budgétaires, comme les bulles immobilières de l’Irlande ou de l’Espagne, qui n’étaient pas détectables par le contrôle purement budgétaire du Pacte de stabilité et de croissance.

Des réformes profondes ont donc été lancées, parfois dans une certaine improvisation. Ces réformes ont abouti à l’adoption de plusieurs textes juridiques qui peuvent être classées en deux catégories distinctes, d’une part des textes adoptés dans le cadre de l’Union européenne, d’autre part, – et cela constitue la grande nouveauté juridique – des textes adoptés directement par les Etats, sur une base intergouvernementale:

i) dans le cadre de l’Union européenne, je retiendrai 3 réformes substantielles:

– première réforme: ce que l’on appelle le “Semestre européen”. Il s’agit d’un calendrier commun qui commence à la fin de chaque année civile et se déploie pleinement pendant le premier semestre de l’année qui suit: au début de cette période, la Commission adopte plusieurs documents d’analyse de la situation économique de l’Union, notamment le ‘annual growth survey’, qui est en principe confirmé par le Conseil européen du printemps; en avril tous les Etats membres notifient à la Commission leur programme budgétaire pour l’année suivante ainsi que leurs programmes de réforme structurelle; finalement en juin/juillet, le Conseil européen et le Conseil se prononcent, sous la forme de recommandations, sur les programmes de chaque Etat membre. De cette façon, les Etats membres sont mis en position, pendant le second semestre, d’adopter leurs budgets et leurs programmes de réforme en tenant compte des messages politiques envoyés par le niveau européen. La grande faiblesse de ce système est bien sûr sa nature non contraignante, mais cette faiblesse a été en partie rencontrée par une deuxième réforme.

– Cette deuxième réforme, c’est le paquet législatif appelé ‘six pack’, entré en vigueur le 13 décembre 2011. Il s’agit de 5 règlements du Conseil et du Parlement et d’une directive du Conseil. Les principaux axes du 6-pack sont les suivants:

  • Premièrement, la surveillance des Etats membres ne porte plus sur leur seule situation budgétaire. L’apparition d’éventuels déséquilibres macroéconomiques entre Etats membres, comme des bulles immobilières ou des divergences de compétitivité, sera aussi repérée, surveillée et combattue. Chaque année, les Etats présentant a priori des déséquilibres macroéconomiques seront soumis à une analyse approfondie par la Commission. Si leur situation est vraiment préoccupante, une procédure spécifique est ouverte et l’Etat doit soumettre un plan de mesures correctives, dont la mise en œuvre est suivie à intervalles réguliers. Ce nouveau système a été appliqué pour la première fois en 2012 et plusieurs Etats membres ont d’emblée été soumis à un bilan approfondi.
  • Deuxièmement, la surveillance budgétaire est renforcée: d’une part, une nouvelle règle est introduite selon laquelle les dépenses des Etats membres sont en principe limitées par le taux de croissance de leur économie; d’autre part, ce n’est plus seulement le déficit budgétaire annuel des Etats membres qui sera surveillé; la situation de leur dette, soit la somme de tous les déficits passés, sera également davantage contrôlée.
  • Enfin, deux des règlements adoptés s’appliquent seulement aux Etats membres euro et prévoient des mécanismes de sanctions financières renforcées si ces Etats ne respectent pas leurs obligations. Deux types d’infractions qui sont réprimées par de telles sanctions: pour leur situation budgétaire, les Etats euro ont une obligation de résultat et encourent des sanctions financières dès que leur déficit ou leur dette dépasse un certain niveau; en revanche, pour les déséquilibres macroéconomiques, les Etats ont seulement une obligation de moyen; ils doivent adopter des mesures pour y mettre fin, et c’est seulement s’ils n’adoptent pas ces mesures qu’ils peuvent être sanctionnés. Ces sanctions financières prennent la forme de dépôts obligatoires auprès de la Commission, rémunérés ou non, ainsi que d’amendes. Le montant de ces dépôts ou amende est en principe de 0,2% du PIB de l’Etat membre concerné. Ces sanctions s’appliqueront de façon quasi-automatique, selon le mécanisme dit de la “majorité qualifiée renversée”, sur lequel je vais revenir plus tard. Il n’y a pas encore eu de cas d’application de ces sanctions depuis décembre 2011 jusqu’à maintenant.

– Enfin, -et c’est la troisième réforme- deux nouveaux règlements fondés sur l’article 136 TFUE sont actuellement en négociation au Conseil et au Parlement européen. On parle ici du ‘two-packs’:

  • Le premier de ces textes introduira un calendrier budgétaire commun pour tous les Etats membres euro. En particulier ils devront tous présenter au même moment à la Commission et à leur partenaire de la zone euro leur projet budgétaire pour l’année à venir, avant leur adoption parlementaire. Il y aura donc une discussion commune préalable au sein du Conseil. Et la Commission pourra exiger d’un Etat membre qu’il lui soumette un projet de budget modifié si la première copie s’écarte de la surveillance européenne.
  • Le second règlement prévoit une surveillance renforcée des Etats membres euro dont la stabilité financière connaît des troubles majeurs ou qui bénéficient d’une assistance financière.

ii) sur une base intergouvernementale: A côté de ce droit de l’Union, les Etats ont adopté des mesures complémentaires sur une base purement intergouvernementale.

La première démarche de ce type a été le “Pacte pour l’euro” (Euro plus pact), à savoir un accord politique des Chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro conclu en mars 2011. Ce Pacte comprenait des objectifs en matière de finances publiques, de compétitivité et de réforme des marchés financiers. Chaque chef d’Etat s’engageait à les respecter et à présenter des mesures concrètes en ce sens. Après une adoption solennelle, ce Pacte a toutefois rapidement montré ses limites et est aujourd’hui presque oublié.

La tentative suivante a été le fameux Traité sur la Stabilité, la coordination et la gouvernance qui a été signé en mars 2012. Ce traité international est né du traumatisme du Conseil européen de décembre 2010, où le Royaume-Uni avait bloqué toutes les réformes mises sur la table, qui exigeaient l’unanimité. En réaction 25 Etats membres ont négocié un traité séparé en dehors de la méthode communautaire. Ce traité comprend des dispositions inédites. J’en retiendrai trois:

  • La partie la plus importante de ce traité est ce qu’on a appelé le ‘Fiscal Compact’, à savoir des règles d’équilibre budgétaire strictes que les Etats participants se sont engagées à transposer dans leur droit interne. Sur le fond, ces règles ne sont pas tellement différentes du Pacte de Stabilité et de Croissance. La grande nouveauté c’est que, au lieu d’un simple contrôle externe, comme prévu par le droit de l’Union, on est passé ici à une véritable harmonisation des droits budgétaires nationaux, ce qui n’est pas possible sur la base des traités UE actuels. En outre la Cour de justice européenne est chargée de contrôler la transposition par les Etats membres participants et d’infliger des sanctions financières en cas de mauvaise transposition.
  • Le traité contient également une sorte de “pacte de vote” en liaison avec la procédure de déficit excessif de l’article 126: si la Commission fait des propositions d’actes au Conseil, ces Etats s’engagent à l’avance à appuyer ces propositions au sein du Conseil, sauf si une majorité qualifiée d’entre eux s’y oppose. Ceci devrait donc faciliter l’adoption des actes au sein du Conseil.
  • Troisième nouveauté, le traité formalise les ‘Euro Summit meetings’, soit les réunions régulières des Chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro, qui ne sont pas prévues dans les traités sur l’Union européenne.

II.      Inventaire des problématiques juridiques

Que penser de tout cela en termes juridiques? Confronté à cette avalanche de textes et de procédures, même le juriste le plus expérimenté a parfois du mal à retrouver ses principes. Adoptées dans l’urgence, les réactions à la crise de l’euro sont un patchwork de règlements communautaires, de traités internationaux et de résolutions purement politiques, applicables selon le cas à 17, 25 ou 27 Etats membres de l’Union, et dont les relations réciproques sont un modèle de complexité.

Compte tenu de la nature plutôt hétéroclite de cet ensemble, vous ne serez pas surpris que la liste des problématiques juridiques soit relativement longue. J’en retiendrai 5 principales. Les 2 dernières d’entre elles concernent des problématiques juridiques qui paraissent cruciales pour les perspectives d’avenir de l’UEM.

a) Comment légiférer pour la seule zone euro?

Avant le traité de Lisbonne, il n’y avait aucune base juridique permettant l’adoption de mesures spécifiques pour les Etats de la zone euro. Le traité de Lisbonne a inséré dans le TFUE une nouvelle disposition, à savoir l’article 136 qui permet l’adoption de “mesures concernant les Etats membres dont la monnaie est l’euro”. Ces mesures peuvent porter soit sur la discipline budgétaire des Etats membres soit sur leurs orientations de politique économique. L’article lui-même est rédigé de façon particulièrement obscure mais, compte tenu de la crise de la zone euro, le législateur en a fait une interprétation très “volontariste” ou “extensive”, de sorte que cet article a pris une importance fondamentale pour l’union économique et monétaire.

L’article 136 présente des particularités qui concernent à la fois la procédure et les règles matérielles:

  • Concernant la procédure, tout d’abord, son paragraphe 2 prévoit que, au sein du Conseil, seuls les Etats membres euro prennent part au vote. C’est une évolution très importante car cela représente en quelque sorte l’embryon d’un Conseil de la zone euro. Les Etats non euro participent aux discussions au sein du Conseil, restent dans la salle mais ne votent pas. L’autre spécificité procédurale de cet article 136 est qu’il n’indique pas avec précision quelle procédure doit être suivie pour l’adoption des mesures qu’il envisage. L’article dit seulement que l’adoption doit se faire –je cite- “conformément à la procédure pertinente parmi celles visées aux articles 121 et 126, à l’exception de la procédure prévue à l’article 126, paragraphe 14”. Sur cette base, il a été jugé que l’article 136 permettait l’adoption non seulement de mesures individuelles mais aussi de dispositions législatives, de portée générale. Et même si l’article ne mentionne que le Conseil, des règlements législatifs adoptés par le Parlement et le Conseil ont été adoptés sur cette base. On aboutit ainsi à une procédure législative ordinaire plutôt “extraordinaire” dans laquelle, pour le même texte, seuls les Etats euro ont le droit de vote au sein du Conseil tandis que l’ensemble des parlementaires dispose du droit de vote au sein du Parlement européen !
  • Concernant le fond, malgré le libellé peu clair de l’article, des décisions et des règlements ont été adoptés qui imposent des obligations contraignantes aux Etats membres euro. La coordination ‘soft’ cède ainsi progressivement la place à un cadre juridique contraignant à l’intérieur de la zone euro.

b) Comment rendre plus effective la surveillance des politiques nationales?

Comme je l’ai indiqué précédemment, les Etats membres réunis au sein du Conseil n’ont pas suffisamment mis en œuvre les mécanismes de contrôle et de sanction prévus par le Pacte de stabilité et de croissance. En d’autres termes, les règles étaient bonnes, mais n’étaient pas appliquées en pratique. Il a donc fallu trouver des moyens juridiquement acceptables pour renforcer l’efficacité des mécanismes décisionnels, au-delà des mécanismes institutionnels normaux.

Trois renforcements importants méritent d’être cités:

–        Tout d’abord, dans le 6-pack, a été introduite la règle dite de la “majorité qualifiée renversée”. Normalement, quand la Commission fait une proposition au Conseil, cette proposition doit être adoptée “positivement” par le Conseil, c’est-à-dire qu’il faut un vote positif d’une majorité d’Etats membres (en principe une majorité qualifiée). Selon la nouvelle règle de la majorité qualifiée inversée, une proposition est “réputée adoptée” sauf si une majorité qualifiée des Etats membres s’y oppose endéans les 10 jours. Ceci devrait empêcher les Etats membres de retarder l’adoption des mesures contraignantes nécessaires.

–        Ensuite, dans le traité sur la stabilité, comme je l’ai expliqué précédemment, les Etats membres participants ont mis sur pied un système assez similaire pour les décisions à adopter dans le cadre de la procédure de déficit excessif. C’est une approche assez audacieuse car elle s’apparente presque à un détournement de la procédure de l’article 126.

–        Enfin, le 6-pack a créé la règle du ‘comply or explain’ à charge du Conseil: pour toute une série de mesures, le Conseil est tenu en principe de suivre les propositions de la Commission et, s’il s’en écarte, de fournir une explication publiquement.

L’efficacité de ces différents systèmes n’a pas encore pu être vraiment testée.

c) Comment rendre les initiatives de gouvernance renforcée menés sur une base intergouvernementale compatibles avec le droit de l’Union?

Des initiatives intergouvernementales comme le Traité sur la stabilité posent question quant à leur compatibilité avec le droit de l’Union. En effet, les traités prévoient que la coordination des politiques économiques des Etats membres doit se faire “au sein du Conseil”. Ceci n’interdit-il pas aux Etats de faire des arrangements parallèles en dehors du Conseil?

La question reste posée. Les rédacteurs du Traité sur la stabilité ont toutefois veillé à introduire une série de garde-fous qui, pris tous ensemble, permettent d’éviter, ou au moins d’atténuer, une éventuelle incompatibilité avec le droit de l’Union:

  • Premièrement, le traité reconnaît explicitement qu’il doit être appliqué et interprété en conformité avec le droit de l’Union;
  • Deuxièmement, il prévoit qu’après 5 années, il faudra s’efforcer de l’incorporer dans le droit de l’Union;
  • Enfin, et c’est sans doute le plus important, ce traité de crée pas de nouvelles institutions permanentes qui viendraient concurrencer les institutions de l’Union.

J’en viens maintenant aux deux dernières problématiques juridiques, qui me paraissent cruciales pour l’avenir de l’union économique et monétaire.

d) Comment passer d’un système de contrôle externe des politiques économiques nationales vers une véritable politique économique intégrée?

Nous sommes sans doute arrivés au point où un simple contrôle externe ne suffit plus. On parle de plus en plus de la nécessité d’un transfert de la prise de décision vers le niveau européen, que ce soit vers un ‘Ministre européen des finances’ ou un ‘Treasury Officer’ par exemple.

Or, les traités actuels ne permettent pas d’empiéter sur la souveraineté budgétaire des Etats membres. L’Union peut faire pression, peut exiger, peut imposer des sanctions financières en cas de non respect… mais elle ne peut pas prendre les décisions à la place des autorités nationales, elle ne peut pas davantage bloquer l’adoption de mesures nationales, par exemple l’adoption du budget d’un Etat membre. Ce sont les parlements nationaux qui gardent le pouvoir souverain en matière budgétaire.

Mais ceci nécessiterait une révision des traités. Et, s’agissant d’un accroissement des compétences de l’Union, il faudrait recourir à la procédure de révision ordinaire, qui est très lourde et implique en principe une Convention réunissant des représentants des parlements nationaux, des chefs d’Etat et de gouvernement et du Parlement européen et de la Commission, puis une Conférence des représentants des gouvernements des Etats membres et enfin une ratification par les parlements de tous les Etats membres. Par ailleurs, le grand défi d’une telle réforme serait de garantir la légitimité démocratique des décisions qui seraient adoptées au niveau de l’Union.

b) Comment concilier la zone euro et l’Union européenne dans son ensemble?

Comme cela ressort des Conseils européens de juin et d’octobre de cette année, une Union économique et monétaire renforcée est indispensable.

De plus en plus, il est admis que ces réformes devront se faire principalement pour la seule zone euro, quitte à ce que les Etats non euro puissent éventuellement s’y joindre volontairement.

Or, il sera extrêmement difficile de faire progresser l’intégration de la zone euro avec un cadre institutionnel qui a été conçu pour une Union à 27.

De plus en plus, on sent la nécessité de renforcer la structure institutionnelle de la zone euro: depuis 2 ans, se tiennent en pratique des ‘Euro summits’, réunissant les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro, qui ne sont pas prévus par les traités; de même l’Eurogroupe, qui est en principe une simple réunion des ministres des finances de la zone euro, prend une importance croissante.

En revanche, il n’y a pas de parlement de la zone euro, ni d’exécutif de la zone euro.

Un des nombreux challenges qui se posent aujourd’hui sera donc de parvenir à faire évoluer les structures institutionnelles de l’Union européenne, pour éviter que les Etats euro ne cherchent à reconstruire un nouvel ensemble “à côté” de l’Union, par exemple en faisant évoluer le Mécanisme de stabilité européen (dont mon collègue va certainement vous parler après moi) vers quelque chose de plus intégrateur…

Il est bien difficile de se prononcer à l’heure actuelle sur l’évolution probable du cadre de l’UEM. Le Conseil européen de fin juin a officiellement donné le coup d’envoi à un vaste processus de réflexion en vue d’une “véritable” UEM. Les présidents du Conseil européen, de la Commission, de l’Eurogroupe et de la BCE avaient été invités à présenter des propositions concrètes, que ce soit dans le cadre des traités existants ou des propositions nécessitant une modification des traités. Le Conseil européen d’octobre a confirmé cette démarche mais sans plus faire de référence à une révision des traités, qui paraît difficile à moyen terme.

Comme cela ressort du Conseil européen d’octobre, une Union européenne renforcée devra s’appuyer sur quatre piliers:

  • Un cadre financier intégré: à court terme c’est le projet d’une surveillance prudentielle des banques directement exercée par la BCE. La proposition législative est en discussion au Conseil et au Parlement;
  • une union budgétaire: c’est surtout le projet encore vague d’une ‘capacité budgétaire’ pour l’UEM, qui permettrait d’aider les efforts d’ajustement des Etats membres soumis à des chocs économiques brutaux;
  • un cadre économique intégré, et
  • une légitimité démocratique renforcée.

La tâche s’annonce rude, mais la crise financière actuelle pourrait in fine avoir déclenché un formidable bond en avant de la construction européenne. L’avenir nous dira si cette prédiction optimiste était la bonne.

Je vous remercie pour votre attention.

 

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[1]Membre du Service juridique de la Commission européenne.