INDEMNISATION DES VICTIMES DE VOLS ANNULES – LA QUETE DU JUSTE MILIEU ENTRE LA PROTECTION MAXIMALE DES PASSAGERS ET LA LIMITATION DE LA RESPONSABILITE DES TRANSPORTEURS

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Arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne (troisième chambre), 13 octobre 2011

dans l’affaire С – 83/10, Aurora Sousa Rodriguez e.a. contre Air France

 

Jénya Grigorova [1]

 

L’arrêt rendu le 13 octobre 2011 par la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) dans l’affaire Aurora Sousa Rodriguez e.a. contre Air France s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle d’élargissement du champ de protection des victimes de vols annulés organisée par le Règlement n° 261/2004. Pour autant, l’arrêt apporte une importante limitation à cette protection jusque là quasiment illimitée, en interprétant de façon restrictive la notion d’ « indemnisation complémentaire » (l’art. 12 du Règlement) qui « ne saurait servir de fondement juridique au juge national pour condamner le transporteur aérien à rembourser aux passagers dont le vol a été retardé ou annulé, les dépenses que ces derniers ont dû exposer en raison du manquement dudit transporteur à ses obligations d’assistance et de prise en charge prévues aux articles 8 et 9 de ce règlement. ».

La situation de fait que se présente devant la Cour n’est pas compliquée : un vol Paris-Vigo (Portugal) est habituellement effectué par Air France, mais le 25 septembre 2008 quelques minutes après le décollage le pilote décide de faire demi-tour et retourner à l’Aéroport Charles de Gaulle en raison d’une défaillance technique de l’avion. Les passagers se voient proposés des vols alternatifs le lendemain mais n’ont pas reçu de l’assistance d’Air France en violation des art. 8 et 9 du Règlement. Ils engagent donc la responsabilité du transporteur aérien devant le juge portugais qui pose à la CJUE deux questions préjudicielles. La première concerne la notion de « vol annulé » et son applicabilité aux faits en l’espèce : est-ce que la situation dans laquelle un avion décolle mais est par la suite contraint de retourner à l’aéroport de départ peut-être qualifiée de « vol annulé » au sens du Règlement ? La deuxième question concerne la notion d’«indemnisation complémentaire», mentionnée à l’article 12 du Règlement : est-ce que ce texte peut servir de fondement juridique pour le juge national pour condamner le transporteur aérien à rembourser aux passagers les dépenses exposées en raison du manquement du transporteur à ses obligations d’assistance et de prise en charge prévues par le Règlement ?

Dans la logique de sa position précédemment défendue (pour ne prendre que l’exemple de l’affaire Sturgeon [2]), la Cour adopte une approche assez laxiste quant à la première question et retient une conception extensive de la notion d’annulation de vol. Elle suit les Conclusions de l’Avocat Général Mme Sharpston en soulignant que le critère d’identification qui devrait prévaloir dans la qualification d’un vol d’ « annulé » devrait être le « résultat de l’opération » : un vol serait « annulé » s’il n’y a eu point de déplacement des passagers et de leurs bagages.

Par contre, en ce qui concerne la deuxième question, la Cour se montre beaucoup plus sévère. Allant au-delà des propositions de l’Avocat Général, la Cour adopte une interprétation plutôt stricte du terme « indemnisation complémentaire ». Certes, selon la jurisprudence déjà bien établie le préjudice indemnisable est assez large (est couvert par exemple aussi le dommage moral [3]). En revanche, l’art. 12 ne saurait servir de fondement juridique au juge national pour condamner le transporteur à rembourser les dépenses liées à l’inexécution de ses obligations imposées par le Règlement. L’indemnisation de l’art. 12 est justement « complémentaire » – c’est-à-dire qu’elle vise à compléter l’indemnisation qui est déjà due sur le fondement du Règlement par une indemnisation supplémentaire due sur la base d’un autre fondement juridique. L’art. 12 conçu pour permettre une indemnisation de la totalité du préjudice ne pourrait dès lors être utilisé pour contourner le fragile compromis trouvé par le législateur européen et reflété dans la responsabilité forfaitaire du transporteur, organisée par le Règlement.

Même si la Cour souligne la particularité de la situation qui s’est présentée devant elle dans cette affaire, elle semble généraliser certaines de ses remarques. D’un côté, elle continue son interprétation extensive des termes ouvrant le droit des passagers à la protection organisée par le Règlement. De l’autre côté, face à certaines critiques relatives à sa jurisprudence précédente, elle commence déjà à compenser cette ouverture en limitant la marge de manœuvre des juridictions nationales quant à l’indemnisation due par le transporteur.

 

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[1] Doctorant contractuel, chargé de Travaux dirigés (droit international public et droit international économique), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; titulaire de Master (M2) en Droit International Economique de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Master en Droit de l’Université de Sofia « Kliment Ohridski »

[2] arrêt du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a., C‑402/07 et C‑432/07, Rec. p. I‑10923

[3] arrêt du 6 mai 2010, C‑63/09, Walz, non encore publié au Recueil