Nadezhda Todorova[1]
Par le biais d’une demande de décision préjudicielle introduite sur le fondement de l’article 267 TFUE, la Cour de justice a pu répondre le 30 mai 2013, aux interrogations soulevées par la juridiction administrative suprême tchèque, concernant l’applicabilité de la directive ″retour″ à un demandeur d’asile turc, M. Arslan.
La juridiction de renvoi cherche par le présent renvoi à délimiter le champ d’application de la directive 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier par rapport à celui de la directive 2005/85/CE[2] relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, le critère déterminent de l’applicabilité étant le caractère non régulier de l’étranger concerné.
En l’espèce, M. Arslan est un ressortissant turc entré clandestinement dans l’espace Schengen, éloigné une première fois vers son pays d’origine et destinataire d’une interdiction d’entrée sur le territoire de l’espace Schengen pour une durée de trois ans. Lorsqu’il est à nouveau interpellé par les forces de police tchèques, il est immédiatement placé en rétention et fait l’objet dès le lendemain d’une décision d’éloignement. Cependant alors que sa rétention est prolongée, M. Arslan conteste cette décision devant le juge national au motif qu’il n’existe pas de perspective raisonnable d’éloignement, puisque la demande de protection internationale qu’il a déposé pendant sa première période de rétention doit-être examinée et faire l’objet d’éventuels recours. Pour les autorités tchèques, cette décision de prolongation est au contraire motivée par le passé du requérant et son intention avouée d’introduire une demande d’asile pour retarder son éloignement, voire le tenir en échec. Le requérant se pourvoit alors en cassation. Bien que la demande de protection internationale ait été entre temps rejetée et il a été libéré suite à l’expiration du délai maximal de rétention, la juridiction administrative suprême tchèque a posé à la Cour de justice de l’Union les questions préjudicielles suivantes:
1) Doit-on interpréter l’article 2, paragraphe 1, lu en combinaison avec le considérant 9 de la directive ″retour″ en ce sens que cette directive ne s’applique pas au ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale au sens de la directive 2005/85?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, doit-il être mis un terme à la rétention de l’étranger à des fins de retour lorsque ce dernier introduit une demande de protection internationale au sens de la directive 2005/85 et qu’il n’existe pas d’autres motifs pour prolonger la rétention? ″
Avant de se prononcer sur le fond la Cour de Justice a préalablement vérifié la recevabilité des questions posées. Décidant de ne pas suivre sur ce point les conclusions de l’Avocat Général, Melchior Wathelet, la Cour décline l’argument selon lequel la demande de décision préjudicielle aurait un caractère hypothétique puisque le requérant n’a pas expressément contesté devant la juridiction de renvoi l’applicabilité de la directive ″retour″.
La Cour rappelle d’abord que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/115 impose l’application de la directive ″retour″ aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un Etat membre, tandis que le considérant 9 semble par définition exclure de ce champ d’application les ressortissants de pays tiers ayant demandé l’asile dans un Etat membre conformément à la directive 2005/85.
Comme le souligne la Cour, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2005/85 établit le droit pour les demandeurs d’asile de rester, aux seules fins de la procédure d’asile, dans l’Etat membre dans lequel leur demande a été déposée ou est examinée, et cela jusqu’à ce que l’autorité responsable pour cet examen se soit prononcée en premier ressort sur cette demande. Certaines exceptions (article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/85), l’article 39, paragraphe 3 de la même directive permet aux Etats membres de l’étendre aux demandeurs qui seraient dans l’attente de l’issue d’un recours contre la décision de l’autorité responsable en premier ressort.
Par sa réponse à la première question la Cour conclut ″qu’il ressort clairement des termes, de l’économie et de la finalité des directives 2005/85 et 2008/115 qu’un demandeur d’asile a le droit de demeurer sur le territoire de l’Etat membre concerné à tout le moins jusqu’à ce que sa demande ait été rejetée en premier ressort et ne saurait être considéré comme étant en séjour irrégulier au sens de la directive 2008/115celle-ci visant à l’éloigner dudit territoire″.
Dans un second temps la Cour s’est interrogée sur le maintien en rétention d’un ressortissant d’Etat tiers ayant préalablement été détenu sur le fondement de l’article 15 de la directive ″retour″. parce que remplissant les critères de ce dernier, mais ayant pendant la durée de la rétention introduit une demande de protection internationale.
En se référant à la jurisprudence Kadzoev (point 45), la Cour distingue deux types de rétention: la rétention à des fins d’éloignement régie par la directive 2008/115 et la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile conformément aux directives 2005/85 et 2003/9. La Cour ne précise pas les caractéristiques de la rétention à des fins d’éloignement, le point 60 des conclusions de l’Avocat Général rappelle en substance les conditions autorisant le recours à la rétention selon les principes éclaircis notamment par la jurisprudence El Dridi. La rétention doit intervenir en dernier lieu si d’autres mesures moins coercitives sont inadéquates, si l’intéressé présente un risque de fuite ou empêche la préparation du retour, et elle doit-être aussi brève que possible. Concernant la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile, la Cour rappelle que le principe est celui de la libre circulation des demandeurs d’asile sur le territoire de l’Etat membre d’accueil (article 7, paragraphe 1 de la directive 2003/9). En effet, le seul fait pour un ressortissant de déposer une demande d’asile ne peut justifier son placement en rétention (article 18 de la directive 2005/85).
Selon la Cour deux circonstances justifient la prolongation de la rétention de M. Arslan.
Tout d’abord le risque de fuite et l’échec de son éloignement se présumaient amplement au vue du parcourt du ressortissant turc. Dès lors, même si le régime de la rétention diffère à l’occasion de l’introduction de la demande de protection internationale et que la directive 2008/115 est inapplicable pendant l’examen de la demande d’asile, la procédure d’éloignement n’est pas pour autant annulée, et la remise en liberté du ressortissant pourrait compromettre la poursuite de l’éloignement dans l’hypothèse du rejet de la demande d’asile.
Ensuite, la Cour, sensible à l’argument de l’abus de droit soulevé par l’Avocat général, souligne le caractère incertain de la demande d’asile introduite dans le seul but de retarder voire de tenir en échec l’éloignement. En ce cas l’impossibilité de maintenir le ressortissant en rétention porterait atteinte à l’objectif de la directive, «à savoir le retour efficace des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier » et ne permettrait pas aux Etats d’éviter que «l’intéressé puisse, par l’introduction d’une demande d’asile, obtenir automatiquement sa remise en liberté».
Succédant aux jurisprudences El Dridi, Achughbabian et Sagor, relatives à la question de la pénalisation du séjour irrégulier, dans l’affaire C-534/11 la Cour a précisé son affirmation soulevée dans l’affaire Kadzoev que le régime de la rétention à des fins d’éloignement et celui de la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile, relèvent de régimes juridiques distincts.
Cependant, la Cour relève que ni la directive 2003/9 ni la directive 2005/85 ne procèdent, à une harmonisation des motifs pour lesquels la rétention d’un demandeur d’asile peut être ordonnée. Par ailleurs, la législation relative à l’asile prévoit actuellement une harmonisation des motifs de placement en rétention dans le cadre de la refonte de la directive 2003/9[3]. Ainsi, la nouvelle directive 2013/33 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) a introduit au niveau de l’Union par son article 8 une liste établissant de manière exhaustive les motifs de la rétention.
En conclusion, il y a lieu de soulever que cet arrêt revêt une grande importance étant donné que pour la première fois il consacre le droit des Etats membres de maintenir la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers, qui a introduit une demande de protection internationale au sens de la directive 2005/85 après avoir été placé en rétention en vertu de l’article 15 de la directive 2008/115, sur la base d’une disposition du droit national lorsqu’il apparaît, à la suite d’une appréciation au cas par cas de l’ensemble des circonstances pertinentes, que cette demande a été introduite dans le seul but de retarder ou de compromettre l’exécution de la décision de retour.
L’arrêt de la Cour dans l’affaire C-534/11, Arslan porte des éclaircissements importants sur l’incidence d’une demande d’asile sur la mesure de rétention à des fins d’éloignement en application de la directive retour et de la directive 2005/85.
Par son arrêt Arslan la Cour souligne une fois de plus qu’il est nécessaire d’assurer un juste équilibre entre le respect du principe de “non-refoulement” et le but d’empêcher l’immigration clandestine et de renforcer la lutte contre elle.
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[1] Administrateur au Service de la Recherche et Documentation à la Cour de justice de l’Union Européenne.
[2] La Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale abroge, dans son article 53, la directive 2005/85/CE pour les États membres liés par la présente directive, avec effet au 21 juillet 2015.
[3] Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale
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