CJUE, 17 janvier 2019, Petar Dzivev et autres, aff. C-310/16, EU:C:2019:30
Maria Fartunova-Michel[1]
Introduction
Il est des arrêts dont le lecteur doit se méfier tant leur laconisme est trompeur quant à leur apport et leur portée ! L’arrêt Dzivev en est l’exemple parfait parce que le raisonnement de la Cour de justice, qui tient à peine en dix-neuf points, touche à des questions essentielles et existentielles pour l’ordre juridique de l’Union et que l’argumentation succincte ne peut que dérouter. En effet, saisie, à titre préjudiciel sur le fondement de l’article 267 du traité FUE, la quatrième chambre de la Cour de justice devait se prononcer sur la protection pénale des intérêts financiers de l’Union européenne par les États membres, question classique qui, ces dernières années, fait l’objet d’une position jurisprudentielle suscitant des controverses et des critiques doctrinales des plus animées[2].
Et pourtant, les faits à l’origine de cette affaire sont relativement simples. Des poursuites pénales furent engagées à l’encontre de Petar Dzivev et trois autres prévenus accusés d’avoir commis des infractions de nature pénale à la taxe de valeur ajoutée (TVA) pour la période du 1er juin 2001 au 31 mars 2012. Durant la phase préliminaire de la procédure pénale, plusieurs demandes d’autorisations furent adressées au président du Sofiyski gradski sad (Tribunal civil de Sofia grad) pour la mise en place d’investigations spéciales au moyen d’écoutes téléphoniques. Ces dernières étant constitutionnellement interdites dans leur principe, pouvaient être autorisées sur le fondement de la loi pénale nationale sur les moyens spéciaux d’enquête, à condition que ces autorisations soient accordées par la juridiction compétente et dûment motivées. Ces demandes furent accordées par Sofiyski gradski sad, en dépit de la mise en place d’une juridiction pénale spécialisée qui était la seule compétente à compter du 1er janvier 2012 pour traiter de telles affaires au fond et pour autoriser la mise en place de moyens d’investigation spéciaux dans le cadre de la phase préliminaire de la procédure pénale. Par ailleurs, cette compétence exclusive fut confirmée par la Cour de cassation bulgare qui mit ainsi fin à une interprétation divergente de la disposition législative. Ayant cependant des doutes sur la légalité des preuves obtenues pendant la période du 1er janvier 2012 au 31 mars 2012 au moyen d’écoutes téléphoniques autorisées et prolongées par Sofiyski gradski sad, juridiction a priori non compétente selon le nouveau dispositif national, et devant se prononcer au fond dans cette affaire, Spetsializiran nakazatel sad (tribunal pénal) sursit à statuer et posa deux questions préjudicielles à la Cour de justice. Par sa première question, la juridiction spécialisée cherchait à savoir si l’article 325 du traité FUE l’obligeait à ne pas écarter les preuves obtenues par les écoutes téléphoniques autorisées par une juridiction incompétente dont la décision n’était pas motivée conformément aux exigences du droit national dès lors que la culpabilité de l’accusé ne pouvait être démontrée que sur le fondement de ces preuves. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi invitait la Cour de justice à se prononcer sur l’application de la solution dans l’affaire Ognyanov au litige pendant devant elle. Á la suite de l’arrêt préjudiciel rendu dans cette dernière affaire[3], la juridiction nationale retira la seconde question préjudicielle estimant que celle-ci fut devenue sans objet[4].
Dans ce contexte, la Cour de justice devait donc se prononcer sur la portée de la protection effective des intérêts financiers de l’Union, plus particulièrement sur le point de savoir si cette protection devait se faire au détriment des principes des systèmes pénaux nationaux relatifs à la collecte et à l’admissibilité des preuves dans les procédures pénales nationales afin d’éviter l’impunité du prévenu. La Cour répondit par la négative. Elle jugea que, dans ces conditions, la protection des intérêts financiers de l’Union n’obligeait pas le juge national à utiliser des preuves irrégulièrement obtenues et, par conséquent, celui-ci pouvait les écarter de la procédure pénale nationale, conformément aux principes du système pénal national.
La réponse apportée par la Cour de justice ne surprend pas à premier abord, celle-ci se situant a priori dans la continuité de la position de l’arrêt MAS et MB[5], comme l’avait suggéré l’Avocat général Bobek dans ses conclusions sous cette affaire. Or, dans le domaine de la protection des intérêts financiers, la position de la Cour de justice est loin d’être figée[6]. Elle articule tant bien que mal la prévalence de l’obligation de mise en œuvre efficace et effective de la protection des intérêts financiers qui pèse sur les États membres avec, dans la mesure du possible, le respect de leurs systèmes procéduraux pénaux et des droits fondamentaux des personnes concernées. L’approche qui en résulte est casuistique et aboutit parfois à des solutions discutables[7] et discutées[8] tant elle tente de renouveler la méthode jurisprudentielle afin d’appréhender la mise en balance entre la primauté, la Charte des droits fondamentaux et les spécificités procédurales nationales dont la confrontation se pose désormais en termes différents allant au-delà des considérations économiques du fonctionnement du marché[9]. Comme le remarque Edouard Dubout, cette confrontation est davantage marquée par « la montée de revendications identitaires sur l’espace européen. Elles gagnent en virulence au fur et à mesure que l’intégration européenne pénètre les sphères sensibles dans lesquelles s’expriment les valeurs collectives du ‘vivre ensemble’. La sphère du droit pénal, qui incrimine la violation des normes qu’une société considère les plus importantes pour sa pérennité, en est probablement l’un des domaines d’expression les plus visibles »[10].
L’arrêt Dzivev illustre parfaitement ces difficultés dans la construction d’un espace pénal commun de poursuites à l’aune de la protection des intérêts financiers de l’Union. Mais paradoxalement, il offre à la Cour de justice l’occasion de s’engager dans une voie plus cohérente avec la logique « fédérale »[11] qui anime, au fond, la protection des intérêts financiers de l’Union. Il lui permet aussi de consolider la démarche déjà observée pour régler « le conflit entre primauté d’une norme de l’Union et droits fondamentaux (…) [par] le recours à la Charte [pour] renoncer à la primauté (…) sans sacrifier le principe ‘essentiel’ de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union »[12]. Comme le remarque le juge Lucia Serena Rossi, cette nouvelle méthode consiste pour le juge à admettre l’existence d’un principe, valeur « à l’intérieur de l’ordre juridique autonome »[13] qui limitera lui-même la primauté et ses effets. Le conflit serait alors évité, son épicentre étant déplacé.
Dans l’arrêt Dzivev, la Cour de justice franchit le pas en déplaçant clairement le débat de l’affrontement de la primauté du droit de l’Union européenne et la spécificité procédurale pénale nationale. Elle se place sur le terrain de la reconnaissance d’un principe de légalité pénale propre à l’ordre juridique de l’Union. En effet, la Cour considère que le principe de légalité pénale est inhérent au système juridique de l’Union (I). Son application dans le domaine de protection des intérêts financiers de l’Union redessine les contours de l’obligation de mise en œuvre effective qui pèse sur les États membres (II).
I. Le principe de légalité pénale, inhérent au système juridique de l’Union
Le principe de légalité pénale ou lex certa n’est pas inconnu du droit de l’Union européenne. Il a été envisagé davantage comme un principe limitant les effets de l’intégration européenne afin de préserver la spécificité des systèmes pénaux nationaux[14], puis comme faisant « partie des traditions constitutionnelles communes aux États membres »[15] et, enfin, trouvant un fondement textuel explicite à l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux[16]. Or, en l’espèce, la Cour de justice n’exploite ni le fondement national ni le fondement européen, au risque de négliger la Charte. Curieusement et suivant une argumentation plus que succincte, elle se place sur le terrain des valeurs de l’Union en donnant à ce principe une dimension axiologique (A) et en le façonnant selon une conception autonome propre au droit de l’Union européenne (B).
A. La dimension axiologique du principe de légalité pénale
Dans l’arrêt Dzivev, la dimension axiologique du principe de légalité pénale se déduit de la reconnaissance des liens étroits que ce principe entretient avec l’État de droit (1). La Cour de justice exploite ces liens étroits afin de préciser comment elle conçoit la fonction juridictionnelle dans un État de droit à l’aune du principe de légalité pénale (2).
1. La reconnaissance des liens étroits entre le principe de légalité pénale et l’Etat de droit
Ce qui ressort de l’arrêt Dzivev est que, pour la première fois[17], la Cour de justice établit une corrélation de manière explicite entre le principe de légalité et les valeurs de l’Union. Le point 34 de l’arrêt est à cet égard particulièrement clair : le respect du principe de légalité est « nécessaire [ainsi que] de l’Etat de droit, qui constitue l’une des valeurs premières sur lesquelles repose l’Union, ainsi qu’en témoigne l’article 2 TUE »[18].
On ne peut qu’être surpris par la référence à l’article 2 du traité UE et de l’argumentation expéditive de cette approche axiologique que la Cour de justice adopte de lex certa[19]. Rien ne préjugeait d’une telle position. La juridiction de renvoi n’avait pas mentionné dans sa question préjudicielle l’article 2 du traité UE. De même, dans ses conclusions, l’Avocat général Bobek s’y référait timidement en s’interrogeant sur le fait de savoir si « les défaillances systémiques (apparentes) en matière de perception de la TVA et des droits de douane revêtent une importance telle qu’elles conduisent, cette fois-ci, à la suspension effective des droits fondamentaux ainsi qu’à celle de la légalité et de l’Etat de droit. Je me demande bien ce qu’une telle stratification de valeurs impliquerait au regard de la hiérarchie entre l’article 2 TUE et l’article 325 TFUE »[20].
L’on ne peut que souscrire à une telle approche axiologique du principe de légalité. Comme le remarque, à juste titre, le professeur Vervaele, « le principe de légalité est à la fois un principe général de droit et un principe fondateur de l’Etat de droit, car essentiel pour la protection du justiciable contre d’éventuels abus du pouvoir punitif de l’Etat. (…) Le principe de légalité est donc une des garanties contre l’exercice du pouvoir ou de la force par l’Etat dans des cas ou des droits civils et des libertés sont en jeu »[21]. C’est en ce sens aussi que la Cour européenne des droits de l’homme avait, dès l’arrêt S.W c. Royaume-Uni, jugé que ce principe était un « élément essentiel de la prééminence de droit »[22] en opposition du modèle de « l’État policier »[23].
Une telle lecture axiologique du principe de légalité est également en cohérence avec la nature du droit pénal elle-même. « Droit expressif »[24], mais aussi « droit répressif »[25], il est à la fois fondé sur des valeurs dont la défense est nécessaire pour « l’ordre social »[26] auquel le pouvoir punitif de l’État participe et concourt. Il porte le modèle sociétal à l’aune de l’idéal politique et juridique qu’est « l’État de droit », valeur communément partagée par l’ensemble des États membres[27] où le juge est figure centrale[28].
2. Le principe de légalité pénale et la fonction juridictionnelle dans un État de droit
La notion d’« État de droit » visée à l’article 2 du traité UE renvoie à une conception moderne et libérale de l’État que la doctrine considère d’inspiration allemande[29]. Selon cette dernière, l’État de droit libéral est celui qui s’édifie autour de principes qui touchent à la place du droit, à la séparation des pouvoirs[30] entre les institutions publiques, à la sécurité juridique, aux droits fondamentaux et, enfin, au contrôle juridictionnel[31].
Á ce dernier point, la Cour de justice accorde une importance particulière. Dès l’arrêt Parti écologiste « Les verts » c. Parlement[32], la Cour de justice fait du contrôle juridictionnel un élément déterminant de la construction de « l’Union de droit ». Comme l’a déjà souligné la Cour de justice, « l’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union est inhérente à un Etat de droit »[33]. L’absence d’un tel contrôle « serait préjudiciable tant au caractère obligatoire des [actes des institutions] que, de manière générale, au respect des valeurs sur lesquelles l’Union, conformément à l’article 2 TUE, est fondée »[34].
La Cour de justice va même plus loin parce qu’elle juge que « l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie la charge d’assurer le contrôle juridictionnel dans l’ordre juridique de l’Union non seulement à la Cour, mais également aux juridictions nationales »[35]. Le double fondement du contrôle juridictionnel lui a permis ainsi de s’ériger en gardien de l’indépendance des juridictions nationales et de les protéger face aux réformes nationales[36].
La place ainsi reconnue aux juridictions nationales oblige ces dernières en même temps à exercer le contrôle juridictionnel dans le respect des principes de l’État de droit[37], parmi lesquels figure le principe de légalité pénale. Le principe de légalité joue alors un rôle de catalyseur puisqu’il justifie l’action répressive mais aussi la limite. Il protège l’individu par la conception sociétale qu’il reflète, notamment par la place accordée aux droits fondamentaux et à la protection de l’individu face au pouvoir punitif de l’État[38]. Or, dans sa conception initiale, la fonction première de ce principe est de lutter contre « l’arbitraire du juge »[39]. Il lui assigne l’obligation de respecter le cadre légal de sa compétence et de ne pas l’outrepasser[40].
La Cour de justice rappelle qu’« dans ce contexte, il incombe, au premier chef, au législateur national de prendre les mesures nécessaires. Il lui appartient, le cas échéant, de modifier sa réglementation et de garantir que le régime procédural applicable à la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ne soit pas conçu de telle manière qu’il présente, pour des raisons inhérentes à celui-ci, un risque systémique d’impunité des faits constitutifs de telles infractions, ainsi que d’assurer la protection des droits fondamentaux des personnes poursuivies »[41], notamment en ce qui concerne la compétence des juridictions nationales quant à leur pouvoirs d’instruction. Pour ce qui concerne ces dernières, la Cour de justice précise qu’ « qu’il leur incombe de donner plein effet aux obligations découlant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE et de laisser inappliquées des dispositions internes, qui, dans le cadre d’une procédure concernant des infractions graves en matière de TVA, font obstacle à l’application de sanctions effectives et dissuasives pour lutter contre les fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union »[42]. Ce faisant, la Cour de justice rappelle clairement la place du législateur national et du juge dans la protection des intérêts financiers de l’Union. L’obligation de mettre en œuvre « des sanctions effectives et dissuasives » est à destination du législateur. Quant au juge national, il lui revient de s’assurer que les règles procédurales nationales ne font pas obstacle à l’application des sanctions pénales prévues par le droit national. La Cour de justice entérine ainsi la position adoptée dans les arrêts MAS et MB[43] et Scialdone[44].
Mais son raisonnement contraste fortement avec les arrêts Taricco[45] et Kolev[46]. A la lumière de ces arrêts, comme le souligne l’Avocat général Bobek dans ses conclusions, le juge national n’est pas tenu en principe d’écarter les règles procédurales nationales, « mais en réalité oui, si cela se produit de manière systématique, à condition que les droits fondamentaux du prévenu soient respectés »[47] afin de garantir la perception effective de la TVA par la mise en place des sanctions pénales effectives et dissuasives. Il s’interrogeait ainsi sur le point de savoir « comment la dernière solution, celle retenue dans l’arrêt Kolev e.a., pourrait être appliquée par les juridictions nationales en pratique. Une juridiction nationale est en effet censée laisser inappliquées les règles nationales applicables dans une procédure pénale qu’elle estime incompatibles avec les dispositions directement applicables de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement si cela n’aboutit pas alors à un résultat contraire aux droits fondamentaux de l’accusé. Comment les identifier cependant ? Tous les droits de l’accusé ne méritent-ils pas d’être scrupuleusement respectés en vertu du droit à un procès (pénal) équitable et/ou des droits de la défense ? Ou existerait-il des droits de moindre importance (des « droits de seconde classe »), qui devraient être identifiés individuellement par chaque juridiction nationale, puis écartés de manière sélective s’ils viennent à faire obstacle à une condamnation ? »[48].
La position de l’Avocat général se comprend aisément car la marge d’appréciation que la Cour reconnaît au juge national est telle qu’il est difficile de prévoir quelle sera son attitude au regard de l’effectivité de la protection des intérêts financiers de l’Union. Ce qui doit en principe relever de l’exception : « en cas de défaillances systémiques » ou lorsque « cela se produit dans un nombre considérable de cas »[49] risque de devenir la règle, selon l’appréciation casuistique du juge national, compte tenu du contexte procédural national, mais aussi factuel du litige. La conséquence en est qu’elle entre en conflit avec la particularité du droit pénal où la prévisibilité de la règle pénale, qu’elle soit matérielle ou procédurale, est de principe.
En l’espèce, la Cour de justice se détache nettement de la position adoptée dans l’arrêt Kolev. Si elle rappelle que le juge national est tenu de respecter la Charte des droits fondamentaux dans les procédures pénales en matière de protection des intérêts financiers de l’Union, elle neutralise son pouvoir d’appréciation. La question que doit trancher le juge national n’est plus celle de la conciliation de l’effectivité de la perception de la TVA avec les droits fondamentaux de la personne concernée par la procédure pénale nationale ni celle de l’articulation entre l’article 325 du traité FUE et la norme nationale procédurale à la lumière de la Charte. Mais le juge national doit désormais vérifier que, lorsqu’il écarte la règle pénale procédurale afin de garantir la perception effective de la TVA et, partant, sanctionne l’impunité de la personne concernée, il ne remet pas en cause lex certa, principe cardinal de l’action pénale qui à la fois justifie et limite son pouvoir répressif. Pour le dire simplement, l’effectivité de la protection des des intérêts financiers de l’Union ne doit pas conduire à la violation manifeste du principe de légalité pénale.
Cette solution se profile déjà dans l’arrêt MAS et MB[50]. Mais l’arrêt Dzivev s’en distingue en ce que la Cour de justice tranche de manière explicite la question de la place du principe de légalité dans le système juridique de l’Union. Sans nier sa qualité de principe général de droit ni de principe relevant des traditions constitutionnelles communes, la Cour de justice va néanmoins plus loin. C’est un principe inhérent au système juridique de l’Union parce qu’il est inhérent à « l’Etat de droit, valeur première de l’Union », conformément à l’article 2 du traité UE.
L’on peut simplement regretter que la Charte ne soit pas mentionnée, comme c’était le cas dans l’arrêt MAS et MB[51], d’autant plus que son préambule reprend textuellement l’article 2 du traité UE. Sans doute, la Cour a-t-elle voulu éviter la redondance dans la justification ou bien de placer le débat, d’une part, sur la portée normative de la Charte et son articulation avec le droit primaire, notamment l’article 2 du traité UE, et, d’autre part, sur le contenu de son article 49 à l’égard du principe de légalité de délits et des peines. La mise en exergue de la dimension axiologique de lex certa sur le fondement de l’article 2 du traité UE lui permet de faire accepter la façon dont elle conçoit ce principe dans le système juridique de l’Union.
B. La conception autonome du principe de légalité pénale
S’agissant du principe de légalité pénale, l’arrêt Dzivev innove parce que la Cour de justice dépasse l’approche purement matérielle du principe de légalité pénale (1) et le conçoit comme un principe légitimant la répression pénale (2).
- Le dépassement de l’approche matérielle du principe de légalité pénale
Jusqu’à l’arrêt Dzivev, la conception retenue du principe de légalité était essentiellement matérielle et limitée aux domaines de l’incrimination des infractions pénales et de leurs sanctions. Á l’instar de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[52], la Cour de justice l’interpréta à travers le prisme « de la qualité » de la loi pénale nationale[53], notamment au regard de sa « prévisibilité, prévision et non-rétroactivité »[54]. Ce faisant, elle se prononçait sur l’étendue de la compétence nationale en matière d’incrimination pénale, de l’applicabilité de la loi pénale plus douce et de son incidence sur la responsabilité pénale de l’intéressé[55], voire en matière de prescription des délits et des peines[56] à la lumière de l’effectivité de la protection des intérêts financiers de l’Union[57].
Une telle approche matérielle du principe est corroborée par l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux dont la formulation ne dit pas autre chose[58] : « nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère ; celle-ci doit être appliquée », à l’instar de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme[59].
Or, comme le remarque le professeur Vervaele « il est regrettable que la [Charte] ne contienne pas de formule aux termes de laquelle la procédure pénale ne s’applique conformément à la loi prévue. (…) L’harmonisation croissante des procédures pénales dans l’Union européenne, conséquence directe de la reconnaissance mutuelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et l’augmentation des pouvoirs d’enquête des organes de justice (…) justifierait amplement que l’application des garanties de la procédure et la protection du justiciable contre l’abus du pouvoir punitif figurent au sein d’un principe de légalité procédurale »[60].
L’apport de l’arrêt Dzivev est sans doute dans la lecture procédurale du principe de légalité que la Cour propose[61]. Elle admet que ce principe s’applique à la phase préliminaire de la procédure pénale. Mais exploitant la dimension axiologique du principe, la Cour de justice en retient une conception autonome et propre au droit de l’Union européenne. Elle l’interprète comme un critère déterminant et ancré dans le fondement même du pouvoir punitif des autorités et juridictions nationales. Elle s’intéresse à la fois au titre qui leur confère l’exercice du pouvoir répressif[62] et à la nature et à l’étendue de leur compétence à proprement parler. En l’espèce, l’incompétence de Sofyiski gradski sad résultait de la création d’une juridiction pénale spécialisée qui, dès sa mise en place, préemptait les affaires qui lui avaient été initialement attribuées et pour lesquelles elle avait déjà autorisé les écoutes téléphoniques. La question de la régularité des écoutes après la mise en place effective de la juridiction spécialisée ne se posait que pour une période limitée de trois mois, d’autant plus que le dispositif législatif national demeurait ambigu.
Pour la Cour de justice, conformément à lex certa, la compétence de l’autorité/juridiction investie d’un pouvoir punitif, dans un État de droit, ne peut résulter que d’un texte de loi exprès qui constitue son fondement et détermine son étendue[63]. L’idée sous-jacente est celle de la prévisibilité de l’action de l’autorité/juridiction exerçant le pouvoir répressif[64], mais aussi celle du caractère attributif et spécial de la compétence répressive qui ne peut ni se déduire ni s’extrapoler[65]. L’idée est déjà présente dans le règlement (UE) 2017/1939 du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen[66]. Les considérants 66[67] et 81[68] font clairement le lien entre le principe de légalité et la compétence du Parquet européen afin, d’une part, de justifier son rôle et sa place dans la phase préliminaire et, d’autre part, de reconnaître juridiquement les résultats de ses enquêtes dans les procédures pénales nationales engagées par la suite. Ce faisant, la Cour de justice conforte l’idée selon laquelle le principe de légalité pénale vise à légitimer la répression pénale dans un Etats de droit.
- Le principe de légalité pénale et la légitimité de la répression pénale
Il est désormais acquis et ce, sous l’influence du droit de la Convention européenne des droits de l’homme, que le principe de légalité pénale n’est plus essentiellement cantonné à l’exigence et au respect des formalités légales stricto sensus, mais aussi sert de justification à la répression pénale. Comme le souligne à juste titre William Benessiano, « à la légalité de la répression se substitue une légitimité de la répression axée, non plus sur une légitimité démocratique mais sur une légitimité d’ordre libéral à savoir la protection des droits fondamentaux. Aujourd’hui, on s’accorde la nécessité d’une intervention juridictionnelle afin de garantir la substance de démocratie. La légitimité de la répression ne va plus trouver uniquement fondement dans une légitimité d’ordre démocratique mais dans une légitimité d’ordre libéral qui correspond au passage d’un Etat légal à un Etat de droit par truchement du principe de constitutionnalité, c’est-à-dire la substantialisation l’Etat de droit, soit encore la judiciarisation non plus de la légalité pénale mais de ses objectifs (…) [ :] sa fin est la protection de droits fondamentaux contre l’arbitraire »[69].
Cette conception du principe de légalité pénale est perceptible dans l’arrêt Dzivev pour deux raisons. La première est le lien que la Cour de justice établit entre ce principe et l’État de droit. La seconde est l’importance qu’elle accorde à la compétence répressive et d’instruction de la juridiction nationale. C’est sur ce point que le raisonnement de la Cour de justice est particulièrement frappant. Elle sanctionne l’absence de compétence expresse qui autorise l’autorité/juridiction nationale à agir par l’irrecevabilité des preuves obtenues au moyen d’écoutes téléphoniques autorisées et prolongées. Cette irrecevabilité revêt un caractère absolu. L’absence de titre de compétence expresse annule ab initio les preuves obtenues qui sont réputées n’ayant jamais existé.
En l’espèce, décidant de se focaliser sur l’incompétence de la juridiction nationale, la Cour de justice ne se place ni sur le terrain de la protection des intérêts financiers de l’Union et l’importance des preuves obtenues pour démontrer la culpabilité et, par conséquent, la fraude à la TVA ni sur le terrain de la protection des droits fondamentaux de l’intéressé in concreto. Partant, la Cour de justice conforte l’analyse du juge national allant dans le sens de l’irrecevabilité des preuves obtenues et, par conséquent, l’autorise à les écarter de la procédure pénale en ce qui concerne l’établissement de la culpabilité de Monsieur Dzivev, sans qu’il faille rechercher si l’exigence de motivation a été ou non respectée.
De plus, la compétence est un élément neutre et objectif dont l’appréciation est indépendante de toute considération liée à l’autorité/juridiction qu’elle soit européenne ou nationale. Le constat de son absence est relativement simple à faire. Il s’agit de s’intéresser au contenu de la règle nationale ou européenne qui investit l’autorité nationale ou européenne d’un titre pour agir. Une telle considération permet également de cristalliser l’affrontement entre la nature potentiellement constitutionnelle de la règle nationale avec la primauté et l’effectivité du droit de l’Union européenne, s’agissant de la place accordée au principe de légalité dans le droit national[70]. Sur ce point, il faut néanmoins admettre que la Cour de justice n’a pas pris des risques inconsidérés. En l’espèce, le dispositif constitutionnel national interdisait simplement les écoutes téléphoniques en raison de la protection spécifique qu’il entendait donner à la sauvegarde de la vie privée[71]. Le principe de légalité n’y est pas expressément mentionné à la différence de la Constitution italienne dont l’interprétation et la portée normative avaient donné lieu aux arrêts Taricco et MAS et MB. Le raisonnement de la Cour de justice l’arrêt Dzivev va dans le sens de la neutralisation du débat. Par là même, la Cour saisit l’opportunité d’y mettre fin.
Au titre de lex certa, la Cour de justice conceptualise ainsi le rôle de la compétence répressive[72] dans l’espace pénal européen qui, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, relève de la catégorie des compétences partagées, conformément à l’article 4, paragraphe 2 du traité FUE. Elle en fait également un principe directeur de l’action pénale dans l’Union européenne, non seulement limité au domaine de la protection des intérêts financiers de l’Union. Sur ce point, l’arrêt est particulièrement intéressant parce qu’il ancre le principe de légalité pénale dans le patrimoine génétique de la construction européenne.
Si au final, ce principe conduit à l’irrecevabilité des preuves qui avait été également prévue par le droit national en cas d’incompétence de la juridiction nationale, il opère un changement dans la justification. L’irrecevabilité des preuves obtenues sanctionne l’absence de compétence de l’autorité/juridiction disposant des pouvoirs punitifs au titre de lex certa tel que le conçoit la Cour de justice dans un « État de droit, valeur première de l’Union ». Les États membres doivent désormais composer avec ce principe lorsqu’ils satisfont à leur obligation de protéger les intérêts financiers de l’Union. Partant, la signification de cette dernière se trouve renouvelée.
II. La signification renouvelée de l’obligation de protection pénale des intérêts financiers de l’Union par les États membres
L’obligation de protection pénale des intérêts financiers qui pèse sur les États trouve un fondement express dans l’article 325 du traité FUE au titre de l’exercice d’une compétence partagée[73]. Son interprétation par la Cour de justice, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, a permis de préciser l’étendue de l’action des États membres, mais aussi les limites que lui impose désormais la Charte des droits fondamentaux au titre de son article 51. Par la reconnaissance du principe de légalité comme inhérent au système juridique de l’Union, l’arrêt Dzivev s’inscrit dans la continuité de la position jurisprudentielle déjà observée. En effet, la finalité première du principe de légalité étant de protéger les droits fondamentaux des accusés, il sert à la Cour de justice de prétexte pour renforcer davantage la portée normative de la Charte. La Cour exploite cette force explicative du principe tant en ce qui concerne la mise en œuvre nationale (A) que l’encadrement du régime juridique des écoutes téléphoniques comme preuve pénale (B).
A. La Charte et la mise en œuvre nationale
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Cour de justice a, progressivement et par touches successives, façonné un statut juridique particulier à la Charte des droits fondamentaux. Si, dans un premier temps, elle s’est empressée de préciser son champ d’application, elle a, dans un second temps, cherché davantage à assoir sa portée comme norme de référence dans l’interprétation et l’application du droit de l’Union européenne[74].
S’agissant du champ d’application de la Charte, l’arrêt Dzivev confirme pleinement la position de la Cour de justice et s’inscrit dans la continuité de l’arrêt Åkerberg Fransson[75]. De manière classique, la Cour admet que toute procédure nationale pénale qui est utilisée pour lutter contre la fraude aux intérêts financiers constitue une mise en œuvre du droit de l’Union européenne au sens de la Charte, même si elle n’a pas été expressément adoptée à cette fin. De même, la Cour réitère une position jurisprudentielle déjà amorcée et, ayant vocation à se pérenniser. Selon cette position, les principes de la Charte sont par essence destinés à guider l’interprétation du droit primaire, la protection des droits fondamentaux ne devant pas être nivelée et mise au second plan au regard des objectifs économiques visés. Désormais, la formule est bien ancrée[76] : les traités se lisent « à la lumière de la Charte des droits fondamentaux »[77].
Comme le remarque, à juste titre, l’Avocat général Bobek dans ses conclusions, présentées sous cette affaire, la Charte n’a « pas vocation qu’à jouer le rôle, pour employer une métaphore, d’une « digue secondaire » lorsqu’une certaine interprétation, peut‑être discutable en vérité, des règles matérielles de l’Union aurait au préalable été retenue concernant un problème donné. La Charte et ses dispositions imprègnent l’ensemble de l’ordre juridique de l’Union. La Charte est donc déjà applicable et pertinente pour l’« interprétation première » des règles matérielles en question, à savoir, en l’espèce, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, la convention PIF et la directive TVA, qui doivent être interprétés à la lumière de ses dispositions. Ainsi, le respect de la Charte limite déjà l’éventail imaginable des interprétations que l’on pourrait faire de ces dispositions, en particulier de l’argument plutôt indéterminé de l’effectivité »[78].
Pour le juge Lucia Serena Rossi, cette approche conduit à « valoriser la Charte en tant que source primaire de la protection des droits fondamentaux dans l’Union peut constituer une affirmation de l’autonomie de l’ordre juridique de cette dernière ». (…) Elle permet aussi d’éviter également ce que, dans des cas extrêmes, pourrait devenir un affrontement idéologique entre autonomie et supranationalité de l’ordre juridique de l’Union européenne, d’un côté, et souveraineté constitutionnelle, de l’autre. La valeur constitutionnelle de la Charte devrait influencer aussi bien l’évaluation du rapport entre exception (représentée par les droits fondamentaux) et règles de l’Union (supportées par la primauté) que la méthode que la Cour utilise pour effectuer une telle évaluation »[79]. Pour cette dernière évaluation, comme le suggère le juge Lucia Serena Rossi, le degré d’harmonisation peut être pris en compte pour déterminer dans quelle mesure la violation du droit fondamental s’intègre dans les mécanismes du droit de l’Union européenne qui la justifient[80].
Or, dans l’arrêt Dzivev, la Cour de justice va plus loin. Toute en confirmant la compétence des Etats membres pour déterminer les règles relatives à l’admissibilité de la preuve pénale, elle mobilise la Charte afin de déterminer le régime juridique des écoutes téléphoniques.
B. La Charte et les écoutes téléphoniques comme preuve pénale
Quand on lit la structure de l’arrêt, ce qui étonne à premier abord est le soin avec lequel la Cour de justice évoque sa construction jurisprudentielle relative à l’articulation des compétences entre l’Union et ses États membres dans le domaine de la protection des intérêts financiers de l’Union. Dans une démarche presque pédagogique, la Cour de justice rappelle, tout d’abord, l’absence d’une harmonisation des règles nationales relatives à l’admissibilité des preuves et que ce domaine relève en principe de la compétence des États[81], ensuite, l’obligation pesant sur les États membres de lutter contre la fraude par la mise en place « des mesures effectives et dissuasives »[82] et qu’ils « disposent d’une liberté de choix des sanctions applicables »[83], conformément au principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale[84]. Celui-ci trouve des limites dans le principe de proportionnalité, d’équivalence et aussi d’effectivité. La Cour de justice rappelle par la suite que si les juridictions nationales sont tenues « de donner plein effet aux obligations découlant de l’article 325 du traité FUE », elles ne sont pas dispensées « du respect nécessaire des droits fondamentaux garantis par la Charte et des principes généraux du droit de l’Union »[85], notamment en ce qui concerne la preuve.
Or, le droit de l’Union européenne au même titre que la Convention européenne n’exigent pas que des preuves illicitement obtenues soient systématiquement et par principe écartées du débat judiciaire et considérées comme manifestement irrecevables[86]. Ainsi, la Cour de justice a déjà jugé que tout dépendait de l’ampleur de la violation constatée, de la possibilité de la régulariser et de sa mise en balance avec la protection des droits fondamentaux de l’intéressé[87]. Sur ce dernier point, la Cour européenne adopte une approche similaire en ce qu’elle juge que les droits fondamentaux ne régissent pas le régime de preuve en tant que tel[88].
L’on retrouve également cette idée dans les conclusions de l’Avocat général Bobek puisqu’il avait accordé à la question de l’harmonisation une place importante[89]. L’étude du degré d’harmonisation d’un domaine donné permettrait de déterminer jusqu’à quelle mesure le droit national peut être pris en compte pour l’interprétation de l’effectivité de la protection des intérêts financiers de l’Union et la protection des droits fondamentaux et ce, dans le but d’appliquer ou non « les standards nationaux de protection des droits fondamentaux ». Pour l’Avocat général, « on peut donc imaginer deux situations : premièrement, celle où la règle nationale applicable relève clairement des règles harmonisées au niveau de l’Union de par son libellé ou bien est fonctionnellement si proche de ces règles qu’elle se trouve effectivement préemptée par application de celles‑ci. Dans cette hypothèse, les réserves, les restrictions et la mise en balance avec ces règles seront de nature « horizontale », c’est‑à‑dire qu’elles se rapporteront aux intérêts, aux valeurs et aux standards en matière de droits fondamentaux ayant leur origine dans le droit de l’Union (…). Deuxièmement, la règle nationale en question ne présente pas une telle proximité textuelle ou fonctionnelle (comprise de manière raisonnablement stricte) avec une disposition du droit de l’Union, mais elle relève néanmoins du champ d’application du droit de l’Union. Dans cette hypothèse, ces limites, y compris les limites découlant des droits fondamentaux, proviendront des deux systèmes : celui des standards (minimaux) du droit de l’Union, puisque l’État membre agit dans le champ de ce droit et qu’il ne saurait agir dans ce cadre en s’affranchissant des dispositions de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, mais également celui du droit national, qui peut en outre prévoir un niveau de protection plus élevé dans ces cas. (…) Cette distinction explique pourquoi la Cour a, dans l’arrêt Melloni, exclu l’application d’une norme nationale de protection, alors qu’elle l’a autorisée explicitement dans l’arrêt M.A. S. et M. B »[90].
Or, la Cour de justice ne se place pas sur le terrain du degré d’harmonisation ce qui aurait eu pour conséquence d’obliger le législateur national et le juge national d’examiner, certes de manière plus objective, la marge nationale dans le domaine concerné. Ce qui frappe, en l’espèce, est l’utilisation unique de l’article 7 de la Charte pour encadrer les écoutes téléphoniques comme moyen de preuve pénale alors même que ni la juridiction de renvoi ni l’avocat général Bobek ont emmené la Cour de justice sur ce terrain. Pour ce faire, la Cour qualifie de manière explicite les écoutes téléphoniques d’ingérence dans la vie privée, en entérinant sa position dans l’arrêt WebMindlicences[91]. La conséquence en est double.
Tout d’abord, l’article 7 de la Charte sert de fondement pour encadrer la compétence des États membres lorsqu’ils souhaitent prévoir l’utilisation des écoutes téléphoniques comme de moyen d’investigation pour pouvoir les utiliser comme preuve pénale. La qualification d’ingérence dans la vie privée oblige les États membres à légiférer sur prescription de la Charte des droits fondamentaux. Ce faisant, la Cour de justice lui reconnaît implicitement la qualité d’une « norme habilitante » pour l’élaboration des règles de preuve[92] dès lors qu’un mode preuve peut a priori être constitutif d’une méconnaissance d’un droit prévu par la Charte.
La Cour de justice neutralise ainsi non seulement la compétence des États membres en matière de preuve, mais aussi la distinction entre les domaines ayant fait l’objet d’une harmonisation et ceux où l’action de l’Union européenne n’est pas encore intervenue. Par ailleurs, il est particulièrement intéressant de souligner que le terme même « d’harmonisation » est absent dans l’arrêt. La seule référence qui s’y apparente concerne « règles harmonisées » issues de la directive « TVA ». La Cour de justice oblige ainsi le législateur national à prévoir un régime juridique de la preuve parce qu’un moyen de preuve est in abstracto qualifié de méconnaissance d’un droit fondamental. Par la même, elle oblige le juge national à opérer un contrôle juridictionnel non pas au regard des rapports entre le droit national et la protection effective des intérêts financiers à la lumière de la Charte, mais à prendre en considération la prescription de la Charte et ses implications procédurales en droit national. Si, comme en l’espèce, les écoutes téléphoniques sont une atteinte à la vie privée, il faudra que le législateur détermine leur régime juridique au regard des restrictions tolérées par la Charte elle-même et ce, de manière « suffisamment claire et précise »[93]. Il reviendra alors au juge d’apprécier au cas par cas si l’atteinte à la vie privée peut être justifiée en application de régime déterminé en amont par le législateur national.
Partant et, là le raisonnement de la Cour de justice devient plus classique, l’atteinte à la vie privée étant démontrée, il faut rechercher sa possible justification. Celle-ci, conformément à l’article 52, paragraphe 1er de la Charte[94], doit être « prévue par la loi et si, dans le respect du contenu essentiel de ce droit et du principe de proportionnalité, elle est nécessaire et répond effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union »[95]. En l’espèce, tous les éléments sur ce point étaient réunis pour que la Cour de justice sanctionne sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1er de la Charte la législation nationale. La création de la juridiction pénale nationale spécialisée et les compétences qui lui ont été conférées ont donné lieu à des interprétions divergentes nécessitant l’intervention de la Cour de cassation bulgare qui, dans un avis contentieux, avait tranché en faveur du caractère exclusif de la compétence de cette nouvelle juridiction. Sur le fondement de ces éléments, la Cour de justice aurait pu reprocher au législateur national de ne pas avoir satisfait à l’exigence de la qualité de la loi pénale, notamment en ce qui concerne sa prévisibilité et sa clarté.
Or, la Cour de justice n’examine pas le dispositif législatif national pour savoir si celui-ci offrait des garanties suffisantes pour la personne concernée. Sur ce point, la Cour de justice apporte également une solution novatrice en se détachant de la solution retenue dans l’arrêt WebMindLicences[96]. En l’espèce, la Cour de justice se réfère exclusivement au principe de légalité qui impose un texte express donnant compétence à la juridiction nationale d’autoriser les écoutes téléphoniques. Constatant l’incompétence de cette dernière, la Cour juge que la condition « prévue par la loi » visée à l’article 52, paragraphe 1er de la Charte n’est pas remplie en l’espèce, sans qu’elle ait à se prononcer sur l’examen du caractère nécessaire, justifié et proportionné de l’atteinte à la vie privée[97]. Le défaut de « base légale » de la compétence de la juridiction étant d’une telle gravité qu’il n’y a pas lieu de se prononcer in abstracto sur la législation nationale qui encadre les écoutes téléphoniques. Ce faisant, la Cour de justice sanctionne d’autant plus symboliquement l’absence de compétence de la juridiction nationale de recourir à ce moyen d’investigation pénale.
Ensuite, l’article 7 de la Charte permet à la Cour de justice d’écarter la particularité constitutionnelle nationale, même si elle apparaît plus stricte et précise dans son champ d’application s’agissant des écoutes téléphoniques. En effet, l’article 32 de la Constitution bulgare dispose que « (1) La vie privée des citoyens est inviolable. Toute personne a droit à la protection de la loi contre l’immixtion illégitime dans sa vie personnelle ou familiale, contre les atteintes à son honneur, à sa dignité et à sa réputation. (2) Nul ne peut être suivi, photographié, filmé, enregistré ou soumis à des actions similaires à son insu ou en dépit de son refus catégorique, sauf dans les cas prévus par la loi »[98].
De l’exigence constitutionnelle de protection de la vie privée résulte l’interdiction de principe des écoutes téléphoniques, sauf dans des cas exceptionnels prévus par la loi. Or, la formulation de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux est légèrement différente : « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ». Á l’instar de l’article 8 de la Convention européenne, les termes sont plus généraux et abstraits. Ils traduisent l’idée que le droit à la vie privée n’est pas un droit absolu mais un droit dont l’exercice peut être limité. Les écoutes téléphoniques ne sont pas a priori visées. C’est par l’interprétation large de l’article 8 que la Cour européenne a jugé que la notion de « correspondance et communication » englobait les conversations téléphoniques et que, par conséquent, leurs écoutes étaient constitutives d’une ingérence dans la vie privée à moins qu’elles ne soient prévues par la loi et justifiées[99]. La Cour de justice entérine cette interprétation au titre de l’article 7 de la Charte.
L’on ne peut pas s’empêcher de lire l’apport de l’arrêt Dzivev dans la perspective de la mise en place imminente du Parquet européen en ce qui concerne l’admissibilité des preuves. Le compromis qui a été trouvé dans le règlement est celui de l’applicabilité des principes du droit national pénal applicable. Or, avec une telle lecture du principe de légalité pénale, la Cour de justice s’engage sciemment dans une voie où le droit de l’Union européenne ne peut pas être totalement écarté de la question de l’admissibilité des preuves pénales, fût-ce au prix de la relativisation de l’effectivité de la protection des intérêts financiers de l’Union. Mais il n’empêche que l’espace pénal européen en sort renforcé tant dans sa dimension axiologique que dans sa dimension intégrée.
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[1] Maître de conférences en droit public, Université de Lorraine, membre de l’IRENEE. L’auteure remercie les éditions Larcier de l’avoir autorisée à reproduire l’analyse de l’arrêt Dzivev telle qu’elle a paru à la Revue des affaires européennes, n° 1, 2019 (pp. 185-198).
[2] N. Perlo, « La voie italienne pour préserver la collaboration des juges dans l’Union européenne. Cour de justice de l’Union européenne, 8 septembre 2015, aff. C-105/14 », RTDE, 2017, p. 739 ; L. Serena Rossi, « Droits fondamentaux, primauté et autonomie : la mise en balance entre les principes ‘constitutionnels’ de l’Union européenne », RTDE, 2019, p. 67.
[3] CJUE, gde ch., 8 novembre 2016, Ognyanov, aff. C-554/14 : ECLI:EU:C:2016:835.
[4] V. point 21 de l’arrêt.
[5] CJUE, gde ch., 5 décembre 2017, MAS et MB, aff. C-42/17 , arr. préc.
[6] Pour une présentation de la jurisprudence de la Cour de justice sur ce point, V. les conclusions de l’Avocat général Bobek sous cette affaire.
[7] CJUE, gde ch., 8 septembre 2017, Taricco, aff. C-105/14 : ECLI:EU:C:2015:555 ; CJUE, gde ch., 5 juin 2018, Kolev, aff. C-612/15 : ECLI:EU:C:2018:392.
[8] CJUE, gde ch., 5 décembre 2017, MAS et MB, aff. C-42/17 : ECLI:EU:C:2017:936.
[9] E. Dubout, « La primauté du droit de l’Union et le passage au pluralisme constitutionnel. Réflexion autour de l’arrêt MAS et MB », RTDE, 2018, p. 563 et s.
[10] Ibid., p. 563 et s.
[11] Nous empruntons l’expression à D. Ritleng, « De l’articulation des systèmes de protection des droits fondamentaux dans l’Union. Les enseignements des arrêts Akerberg Fransson et Melloni », RTDE, 2013, p. 267.
[12] L. Serena Rossi, « Droits fondamentaux, primauté et autonomie : la mise en balance entre les principes ‘constitutionnels’ de l’Union européenne », op. cit., spéc. IV partie.
[13] Ibid., spéc. IV partie.
[14] CJCE, 11 novembre 1981, Casati, aff. 203/80.
[15] CJUE, gde ch., 5 décembre 2017, MAS et MB, aff. C-42/17 , préc., point 53.
[16] La formulation de l’article 49 de la Charte ne dit pas autre chose : « nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère ; celle-ci doit être appliquée ». V. également l’article 7 de la CEDH.
[17] La seule fois où l’équation entre le principe de légalité et l’Etat de droit apparaît dans la jurisprudence de la Cour de justice dans l’arrêt Weltimmo. La rédaction est cependant différente et la référence à l’article 2 du traité UE n’apparaît pas. V. CJUE, 1er octobre 2015, Weltimmo, aff. C-230/14 : ECLI:EU:C:2015:639, point 56 : « En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 50 de ses conclusions, il découle des exigences résultant de la souveraineté territoriale de l’État membre concerné, du principe de légalité et de la notion d’État de droit que le pouvoir de répression ne peut, en principe, s’exercer en dehors des limites légales dans lesquelles une autorité administrative est habilitée à agir, dans le respect du droit de l’État membre dont elle relève » (nous soulignons).
[18] Point 34 de l’arrêt.
[19] L’on ne peut pas s’empêcher de faire le lien avec l’arrêt Omega dans lequel la Cour de justice a adopté la même approche systémique de la dignité humaine. Le point 34 de cet arrêt mérite d’être rappelé : « il ne fait donc pas de doute que l’objectif de protéger la dignité humaine est compatible avec le droit communautaire, sans qu’il importe à cet égard que, en Allemagne, le principe du respect de la dignité humaine bénéficie d’un statut particulier en tant que droit fondamental autonome ».
[20] Point 110 des conclusions.
[21] J. Vervaele, « Article II-109 » in L. Burgorgue-Larsen (dir.), A. Levade (dir.), F. Picod (dir.), Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Partie II. La Charte des droits fondamentaux de l’Union. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 620.
[22] CEDH, 22 octobre 1995, S. W. c. Royaume-Uni, §34.
[23] CEDH, 6 septembre 1978, Klauss et autres c. Allemagne, §42.
[24] Nous empruntons ces qualificatifs au professeur Xavier Pin, Droit pénal général, Paris, Dalloz, 2019, 10ème éd., p. 3.
[25] Ibid., p. 5.
[26] Ibid., p. 3.
[27] CJUE, gde ch., 5 décembre 2017, MAS et MB, aff. C-42/17 ; arr. préc.
[28] CJUE, gde ch., 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, aff. C-64/16 : ECLI:EU:C:2018:117, spéc. point 30 : « Selon l’article 2 TUE, l’Union est fondée sur des valeurs, telles que l’État de droit, qui sont communes aux États membres dans une société caractérisée, notamment, par la justice ».
[29] O. Jouanjan, « Etat de droit » in D. Alland (dir.), S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 626.
[30] CJUE, 10 novembre 2016, Ruslanas Kovalkovas, aff. C-477/16 PPU : ECLI:EU:C:2016:861, point 36.
[31] O. Jouanjan, « Etat de droit » in D. Alland (dir.), S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 626. V. notamment Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). Liste des critères de l’Etat de droit., consultable sur https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2016)007-f, dernière consultation : 19 mai 2019.
[32] CJCE, 23 avril 1986, Parti écologiste « Les verts » c. Parlement, aff. 294/83 : ECLI:EU:C:1986:166, point 23 : « (…) La Communauté économique et européenne est une Communauté de droit en ce que ni ses Etats membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la Charte constitutionnelle de base qu’est le traité ».
[33] CJUE, gde ch., 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, aff. C-64/16, arr. préc., spéc. point 36.
[34] CJUE, 27 mars 2019, Commission c. Allemagne, aff. C-620/16 : ECLI:EU:C:2019:256, point 50.
[35] CJUE, gde ch., 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, aff. C-64/16, arr. préc., point 32.
[36] CJUE, gde ch., 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, aff. C-64/16 ; V. CJUE, ord. gde ch., 17 décembre 2018, Commission c. Pologne, aff. C-619/18 R.
[37] V. la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat du fait d’une méconnaissance du droit de l’Union européenne du fait d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort, CJCE, 30 septembre 2003, Köbler, aff. C-224/01 : ECLI:EU:C:2003:513 ; CJUE, 4 octobre 2018, Commission c. France, aff. C-416/17 : ECLI:EU:C:2018:811.
[38] V. B. Bouloc, Droit pénal général, Paris, Dalloz, 25ème éd., 2017, spéc. p. 16 et s.
[39] Pour une présentation historique de ce principe, V. J.-M. Carbasse, « Légalité des délits et des peines », in D. Alland (dir.), S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, pp. 920 et s.
[40] CJUE, 1er octobre 2015, Weltimmo, aff. C-230/14, arr. préc.
[41] Point 31 de l’arrêt.
[42] Point 32 de l’arrêt.
[43] Arrêt précité.
[44] CJUE, 2 mai 2018, Scialdone, aff. C-574/15 : EU:C:2018:295.
[45] Arrêt précité. V. pour un commentaire de l’arrêt, M. Timmerman, « Balancing effective criminal sanctions with effective fundamental rights protections in cases of VAT fraud : Taricco », CML Rev., 2016, n° 3, p. 779.
[46] Arrêt précité.
[47] Point 66 des conclusions.
[48] Point 67 des conclusions.
[49] Point 66 des conclusions de l’Avocat général Bobek présentées sous cette affaire.
[50] Arrêt précité, point 48.
[51] Arrêt précité, points 51 à 55.
[52] CEDH, 15 novembre 1996, Cantoni c. France.
[53] De manière constante, la Cour de justice rappelle qu’il incombe au législateur de s’assurer de la qualité de la loi pénale. V. dans ce sens, point 31de l’arrêt : « Dans ce contexte, il incombe, au premier chef, au législateur national de prendre les mesures nécessaires. Il lui appartient, le cas échéant, de modifier sa réglementation et de garantir que le régime procédural applicable à la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ne soit pas conçu de telle manière qu’il présente, pour des raisons inhérentes à celui-ci, un risque systémique d’impunité des faits constitutifs de telles infractions, ainsi que d’assurer la protection des droits fondamentaux des personnes poursuivies ».
[54] CJUE, gde ch., 5 décembre 2017, MAS et MB, aff. C-42/17, arr. préc.
[55] CJCE, gde ch., 16 juin 2005, Maria Pupino, aff. C-105/03 : ECLI:EU:C:2005:386.
[56] CJUE, gde ch., 8 septembre 2017, Taricco, aff. C-105/14, arr. préc.
[57] CJUE, gde ch., 5 juin 2018, Kolev, aff. C-612/15, arr. préc., point.
[58] V. également dans ce sens, D. Rebut, « Article 49 » in F. Picod (dir.), S. Van Drooghenbroeck, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2017, p.
[59] V. sur ce point, F. Sudre et al, Droit européen et international des droits de l’homme, Paris, PUF, 2019, 14ème éd., 1014 p.
[60] J. Vervaele, « Article II-109 », op. cit., p. 625 et 626.
[61] Les arrêts Taricco et MAS et MB traitent de la question procédurale de prescription. Ils entretiennent néanmoins un léger flou de sorte que l’on n’arrive pas à déterminer la signification concrète du principe de légalité sur ce point. Or, la signification de ce principe dans le cadre de la phase préliminaire de la procédure pénale se distingue de celle qui concerne l’incrimination et la sanction pénales. Comme le remarque le professeur Bouloc, « si le principe de légalité s’applique à la procédure comme au droit pénal, il ne s’applique pas dans les deux cas avec la même rigueur. Les lois de fond, pour la plupart défavorables au délinquant, doivent être interprétées restrictivement et ne peuvent s’appliquer à des infractions commises avant leur entrée en vigueur. Au contraire, les lois de forme, édictées en vue d’assurer une meilleure administration de la justice répressive et considérées en principe comme favorable au délinquant, peuvent recevoir une application immédiate et une interprétation extensive ». B. Bouloc, Procédure pénale, Paris, Dalloz, 2017, 26ème éd., p. 9 et s. Dans le droit de l’Union européenne, l’on comprend aisément la difficulté puisqu’il s’agit de déterminer au cas par cas la nature de la règle pénale concernée au regard de la spécificité juridique nationale.
[62] V. dans ce sens et pour une approche similaire de l’absence de compétence pour les autorités policières de pouvoir intercepter des messages reçus sur des messagers de poche, CEDH, 22 octobre 2002, Taylor-Sabori c. Royaume-Uni.
[63] V. dans ce sens également, CEDH, 24 avril 1990, Kruslin c. France, §36 : « En résumé, le droit français écrit et non écrit, n’indique pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré » (nous soulignons).
[64] V. P. Beauvais, Le principe de légalité pénale dans l’Union européenne, thèse, dactyl., ParisX, Nanterre, 2006, 663 p. ; V. aussi du même auteur, « Le droit à la prévisibilité en matière pénale dans la jurisprudence des cours européennes », Archives de politique criminelle, 2007, n° 29, p. 3 et s.
[65] V. a contrario CJUE, 17 décembre 2015, WebMindLicences, aff. C-419/14 : ECLI:EU:C:2015:832. Dans cet arrêt, la Cour de justice reconnaît la possibilité pour l’autorité administrative d’utiliser les moyens de preuve obtenues par des écoutes téléphoniques dans le cadre d’une procédure pénale. Il s’agit ici de l’utilisation des preuves régulièrement obtenues et ordonnées par une juridiction compétente.
[66] JOUE n° L 283, du 31 octobre 2017, p. 1.
[67] Considérant 66 : « « afin de garantir la sécurité juridique et de lutter efficacement contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, les activités d’enquête et de poursuite du Parquet européen devraient être guidées par le principe de légalité, en vertu duquel le Parquet européen applique strictement les règles définies dans le présent règlement en ce qui concerne en particulier la compétence et son exercice, l’ouverture des enquêtes, la clôture des enquêtes, le renvoi d’une affaire, le classement sans suite d’une affaire et les procédures simplifiées en matière de poursuites » ; considérant 81 : « compte tenu du principe de légalité, les enquêtes menées par le Parquet européen devraient en règle générale entraîner des poursuites devant les juridictions nationales compétentes s’il existe des éléments de preuve suffisants et si aucun motif juridique n’éteint l’action publique, ou si aucune procédure simplifiée en matière de poursuites n’a été appliquée. Le présent règlement comporte une liste exhaustive des motifs conduisant au classement sans suite d’une affaire ».
[69] W. Benessiano, « Le Conseil constitutionnel et l’élaboration de la loi pénale », Annuaire international de justice constitutionnelle, 2009, p. 450 et 451.
[70] Pour une présentation de l’arrêt MAS et MB sur ce point, V. C. Rauchegger, « National constitutionnal rights and primacy of the EU law : MAS », CML Rev., 2018, n° 5, p. 1521.
[71] Pour une présentation de la rédaction de la Constitution bulgare, V. notre étude, « Bulgarie. Introduction au système juridique », J-CL. Droit comparé, 2008.
[72] Pour une présentation générale de cette question, V. P. Simon, La compétence d’incrimination de l’Union européenne, Bruxelles Bruylant, coll. Droit de l’Union européenne-thèses, 2018, 559 p.
[73] Sur son fondement, l’Union et ses Etats membres disposent d’une compétence partagée pour combattre « la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures (…) qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les Etats membres, ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l’Union ». Le paragraphe 2 de cet article impose aux Etats le respect du principe d’équivalence.
[74] V. sur ce point, L. Burgorgue-Larsen, « La ‘force de l’évocation de la Charte’ ou le fabuleux destin de la Charte des droits fondamentaux. L’équilibre des pouvoirs et l’esprit des institutions » in Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet, Paris, Dalloz, 2003, p. 77 ; v aussi pour une présentation et systématisation de la jurisprudence de la Cour de justice l’étude de F.-X. Millet, « La Charte des droits fondamentaux dans la jurisprudence de la Cour de justice. A la lumière de la Charte » in L. Burgorgue-Larsen (dir.), La Charte des droits fondamentaux saisie par les juges en Europe, Paris, Pedone, coll. Cahiers européens (n° 10), 2017, p. 9.
[75] CJUE, gde ch., 26 février 2013, Åkerberg Fransson, aff. C-617/10.
[76] V. sur ce point, F. Picod, « Charte des droits fondamentaux et principes généraux de droit » in C. Vial (dir.), R. Tinière (dir.), La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne. Entre évolution et permanence, Bruxelles, Bruylant, coll. Droit de l’Union européenne-colloques, 2015, p.
[77] CJUE, 16 février 2017, C.K. et autres, aff. C-578/16 PPU : ECLI:EU:C:2017:127; v. aussi point 41 de l’arrêt.
[78] Point 40 des conclusions de l’Avocat général Bobek.
[79] L. Serena Rossi, « Droits fondamentaux, primauté et autonomie : la mise en balance entre les principes ‘constitutionnels’ de l’Union européenne », op. cit., spéc., IVème partie.
[80] Ibid., spéc., IVème partie.
[81] Point 24 de l’arrêt.
[82] Point 25 de l’arrêt.
[83] Point 27 de l’arrêt.
[84] Point 30 de l’arrêt.
[85] Point 33 de l’arrêt.
[86] V. par exemple, TUE, 12 mai 2015, Dalli c. Commission, aff. T-562/12 : ECLI:EU:T:2015:270, spéc. points 47 et 48.
[87] CJCE, 10 avril 2003, Joachim Steffensen, aff. C-276/01 : ECLI:EU:C:2003:228, point 78.
[88] CEDH, 18 mars 1997, Mantovanelli c. France, §§33 et 34. V. sur ce point, M. Marty, La légalité de la preuve dans l’espace pénal européen. Approche comparatiste, Bruxelles, Larcier, 2016, 716 p.
[89] V. les points 70 à 80 des conclusions.
[90] Points 84 et 85 des conclusions de l’Avocat général présentées sous cette affaire.
[91] CJUE, 17 décembre 2015, WebMindLicences, aff. C-419/14, arr. préc.
[92] Sur ce point, nous renvoyons à notre étude. M. Fartunova, La preuve dans le droit de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, coll. Droit de l’Union européenne-thèses, vol. 26, 2013, spéc. p. 53 à 85.
[93] Point 40 de l’arrêt.
[94] L’article 52, paragraphe 1 vise « toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».
[95] V. point 36 de l’arrêt.
[96] CJUE, 17 décembre 2015, WebMindLicences, aff. C-419/14, arr. préc.
[97] Points 37 et 38 de l’arrêt.
[98] Pour la traduction du texte de la Constitution bulgare, V. http://mjp.univ-perp.fr/constit/bg1991.htm#2.
[99] CEDH, 2 août 1984, Malone c. Royaume-Uni, §64.