Gabriela Edreva [1]
Le droit de la concurrence étant un droit économique, l’examen des notions qui lui sont propres d’un point de vue purement juridique se révèle parfois particulièrement difficile, voire dangereux.
Les articles 101 et 102 TFUE qui interdisent les pratiques anticoncurrentielles s’appliquent exclusivement aux entreprises sans pour autant définir cette dernière notion. Ainsi, la notion d’entreprise est définie par la jurisprudence de la CJUE comme toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Cette définition fonctionnelle est la clé de voûte de la responsabilité des sociétés mères du comportement anticoncurrentiel de leurs filiales. C’est grâce à cette appréhension plus économique que juridique de la notion d’entreprise, que la jurisprudence de la Cour respecte le principe de responsabilité personnelle.
En revanche, la question se pose de la compatibilité de la jurisprudence de l’autorité bulgare de la concurrence avec ce même principe, lorsqu’elle est amenée à faire application des articles 101 et 102 TFUE, dans la mesure où son appréhension de la notion d’entreprise diffère substantiellement de la définition donnée par la Cour.
En effet, l’imputation de la responsabilité à la société mère des pratiques anticoncurrentielles de sa filiale est possible uniquement lorsque cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché. Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, afin de déterminer si une filiale détermine de façon autonome son comportement sur le marché, il convient de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent cette filiale à la société mère, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l’objet d’une énumération exhaustive. Ainsi, la Cour détermine au cas par cas si la société mère exerce ou non effectivement une influence déterminante sur sa filiale. Son approche réaliste, inspirée de la réalité économique prévaut donc sur le formalisme juridique.
Cependant, il existe un type de lien juridique qui trouve une place particulièrement importante dans la jurisprudence de la Cour, à savoir la détention totale ou quasi-totale par la société mère du capital de sa filiale. La Cour a jugé que, dans le cas particulier où une société mère détient (presque) la totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale, et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. La présomption en cause repose sur le constat selon lequel, sauf circonstances tout à fait exceptionnelles, une société détenant la totalité du capital d’une filiale peut, au vu de cette seule part de capital, exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale. Afin de démontrer l’exercice effectif d’une influence déterminante par la société mère, l’organe chargé de l’application du droit de la concurrence de l’UE peut donc, sans être obligé de le faire, se limiter à démontrer qu’elle détient la (quasi) totalité du capital de sa filiale. Il appartient dès lors aux sociétés incriminées de prouver l’absence d’exercice effectif d’une telle influence déterminante.
Or, cette preuve peut se révéler en pratique particulièrement difficile à rapporter. Ainsi, la Cour a réfuté à de nombreuses reprises certains arguments invoqués par les sociétés concernées, de sorte à provoquer de nombreuses critiques relatives à la transformation de la présomption de jure réfragable en présomption de facto irréfragable, à l’exigence d’une probatio diabolica et à l’application d’une présomption de culpabilité contraire à l’article 6, paragraphe 2 de la CEDH. La jurisprudence de la Cour a répondu à toutes ces critiques en faisant référence à la jurisprudence de la CEDH.
Il n’en reste pas moins que les affaires dans lesquelles la présomption en cause a été réfutée sont rares. Ainsi, jusque l’arrêt du 20 janvier 2011 dans l’affaire General Química./Commission (C-90/09 P, non encore publié au Recueil), la Commission estimait que la présomption peut être renversée dans le cas d’une société mère holding non opérationnelle. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que cette circonstance ne saurait suffire, en soi, pour renverser la présomption en cause. Or, dans un arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/ Commission (C-628/10 P et C-14/11 P, non encore publié au Recueil), dans des circonstances, certes, très particulières, la Cour a confirmé l’analyse du Tribunal et par là, celle de la Commission, selon laquelle la détention par la société mère de la totalité du capital de sa filiale, ne saurait entraîner la responsabilité de la société mère, dès lors que la participation dans la filiale était de nature purement financière. Surgissent donc de nombreuses questions relatives à l’interaction entre ces deux arrêts, sur lesquelles la Cour n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer.
Or, les conséquences de la responsabilité des sociétés mères du comportement anticoncurrentiel de leurs filiales ne sont nullement négligeables, si bien en termes financiers qu’en termes d’image, pour l’ensemble du groupe.
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[1]Assistante juridique à la Cour de justice de l’Union européenne.