Alexander Kornezov*
Aux termes de l’article 267 TFUE, la Cour de justice de l’Union européenne peut être saisie à titre préjudiciel par une “juridiction” d’un État membre. La notion de “juridiction” est, par conséquent, une notion clé pour le fonctionnement du mécanisme préjudiciel tel qu’institué par les traités dans la mesure où celle-ci conditionne la compétence préjudicielle tant de l’entité nationale qui envisage de déférer une question préjudicielle à la Cour, que de la Cour de justice de l’Union européenne elle-même. La définition de cette notion revêt une importance toute particulière dans la pratique quotidienne d’une multitude d’organes étatiques spécialisés ou de « quasi-juridictions », qui, sans appartenir au système judiciaire national stricto sensu, sont appelés, dans l’exercice de leurs missions, de trancher des litiges dans un domaine donné. En ce faisant, ils sont souvent amenés à interpréter et à appliquer le droit de l’Union, d’où l’intérêt de déterminer s’ils possèdent ou non la qualité de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE.
La réponse à cette question doit être recherchée dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, dont le volume et le caractère à la fois flexible et casuistique ne facilite pas la tâche. Cela étant, la flexibilité, voire l’évolution de cette jurisprudence ne pourraient être comprises sans tenir compte de la grande variété d’organes étatiques non judiciaires et de « quasi-juridictions » existant dans les États membres. L’examen approfondi de cette jurisprudence permet néanmoins d’identifier certains critères ou caractéristiques pouvant servir de points de repères pour la détermination de la qualité de « juridiction » de ce genre d’organes. En fait, l’évolution récente de la jurisprudence vient d’apporter une contribution significative à cet égard, en clarifiant certains aspects de cette notion tant au plan théorique qu’au plan pratique. Revêtent à ce sujet une pertinence particulière les récents arrêts de la Cour rendus dans les affaires Belov,[1] Ascendi Beiras Litoral,[2] Torresi,[3] TDC[4] и Consorci Sanitari del Maresme.[5] La circonstance que deux de ces arrêts ont été rendus par la Grande chambre de la Cour (Torresi et Consorci Sanitari del Maresme) et qu’il a été considéré nécessaire de juger l’ensemble de celles-ci avec le bénéfice de conclusions des avocats généraux atteste de l’importance de ces arrêts pour l’application de l’article 267 TFUE. En effet, dans ces arrêts, la Cour de justice vient de donner de précieuses clarifications sur certaines des questions les plus épineuses en la matière, à savoir l’exigence quant au caractère «juridictionnel» des décisions rendus par ces organes, leur caractère «obligatoire» ainsi que l’«indépendance» de ceux-ci.
En mettant l’accent sur cette jurisprudence récente, le présent article vise, d’une part, à identifier et à expliquer la valeur ajoutée de celle-ci par rapport à la jurisprudence antérieure de la Cour. D’autre part, il cherche à tirer certaines conclusions d’ordre pratique en ce qui concerne, en particulier, la question de savoir si certains organes étatiques spécialisés en Bulgarie, tels que l’Agence des marchés publics, la Commission pour la protection de la concurrence, la Commission pour la protection contre la discrimination et le Conseil suprême des barreaux, possèdent, au vu de leurs spécificités, la qualité de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE.
* Juge au Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne. Les avis exprimés dans cet article son personnel et n’engagent pas cette institution.
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Линк към цялата статия на български език: КАЧЕСТВОТО НА „ЮРИСДИКЦИЯ“ ПО СМИСЪЛА НА ЧЛЕН 267 ДФЕС НА НЯКОИ СПЕЦИАЛИЗИРАНИ ДЪРЖАВНИ ОРГАНИ И КВАЗИЮРИСДИКЦИИ
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[1] C-394/11, EU:C:2013:48.
[2] Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta, C-377/13, EU:C:2014:1754.
[3] C-58/13 и C-59/13, EU:C:2014:2088.
[4] C-222/13, EU:C:2014:2265.
[5] C-203/14, EU:C:2015:279.